In girum imus nocte et consumimur igni

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dimanche 16 novembre 2025

Albert Rieger - Clair de lune

Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres du peintre et photographe autrichien Albert Rieger (1834-1905), formé à l'Académie des Beaux-Arts de Venise.

A.R. - Traversée au clair de lune
J'avoue qu'une partie significative de son œuvre me laisse assez indifférent, notamment ses vues de Venise ou ses représentations orientalistes. En revanche, je suis sensible à ses saisissantes marines sur une mer du Nord souvent tourmentée, ainsi qu'à ses paysages alpins dont voici un bel exemple, avec ces deux scènes baignées de lune à l'atmosphère très romantique.

samedi 15 novembre 2025

Diogo Battista - Black Beast (2020)
Une image et des mots. Panique, ils réclament sans savoir un paradis perdu, écrit Georges-Emmanuel Clancier dans Contre-Chants (2000).

Pour accompagner ce cliché du photographe portugais Diogo Battista, et comme pour prolonger le très court poème de G-E Clancier, en voici un autre, ou plutôt un extrait, tiré du recueil de Victor Hugo Les chansons des rues et des bois (1865)


Le cheval luttait ; ses prunelles,
Comme le glaive et l'yatagan,
Brillaient ; il secouait ses ailes
Avec des souffles d'ouragan.

Il voulait retourner au gouffre ;
Il reculait, prodigieux,
Ayant dans ses naseaux le soufre
Et l'âme du monde en ses yeux.

Il hennissait vers l'invisible ;
Il appelait l'ombre au secours ;
À ses appels le ciel terrible
Remuait des tonnerres sourds.
[.....]
Moi, sans quitter la plate-longe,
Sans le lâcher, je lui montrais
Le pré charmant, couleur de songe,
Où le vers rit sous l'antre frais.

Je lui montrais le champ, l'ombrage,
Les gazons par juin attiédis ;
Je lui montrais le pâturage
Que nous appelons paradis.

dimanche 9 novembre 2025

F. Porter - Interior with roses (1955)
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres du peintre américain Fairfield Porter (190è-1975), figure discrète mais essentielle de la peinture figurative du XXᵉ siècle. Né dans une famille d’artistes et d’écrivains, il étudie à Harvard puis à l’Art Students League de New York, avant de s’installer entre Southampton et l’île de Great Spruce Head, dans le Maine. Porter forge peu à peu une vision très personnelle – à la croisée du réalisme et de l’abstraction gestuelle chère à l'école de New York. Influencé par Bonnard et Vuillard autant que par ses amis Willem et Elaine de Kooning, il reste volontairement figuratif dans une époque dominée par l’expressionnisme abstrait. Ses tableaux montrent ce qu’il connaît le mieux : sa maison, sa famille, ses amis, les paysages du littoral.
F.P. - Clothesline (1958)

Porter peint sans effet des scènes où la lumière adoucit tout – une table, une fenêtre ouverte, un coin de jardin. Rien n’est spectaculaire ; tout est apaisé, et paraît vu avec gratitude. Ce que j’aime dans sa peinture, c’est ce mélange d’attention et de détachement : il regarde le quotidien sans le charger de symboles, mais il en révèle la beauté silencieuse.
Chez Porter, peindre revient à habiter la réalité, à en révéler les nuances. « Fais que tout soit plus beau », disait Renoir à Bonnard ; Porter semble avoir pris ce conseil à la lettre.
L.McC. - Navajo woman (1948)
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés du photographe américain d’origine manxo‑britannique Leonard McCombe (1923‑2015). Né sur l’île de Man, il commence à photographier dès l’âge de 16 ans, accompagne l’avance alliée en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale avec le magazine Picture Post, puis s’installe aux États‑Unis en 1945 où il rejoint Life Magazine à seulement 22 ans.
McCombe se spécialise dans le photo‑reportage : il documente des moments de guerre, des fragments de vie quotidienne, des figures de l’Amérique contemporaine. L’un de ses travaux les plus fameux, « Career Girl: Her Life and Problems » (1948), documente la vie d’une jeune diplômée à New York.
Son style se caractérise par une immédiateté combinée à une vraie sensibilité : il cherchait, disait-il « à ce que mon travail fasse réfléchir plutôt qu’amuser ».

L.McC. - Texas cowboy (1949)
Les deux clichés que j'ai choisis aujourd'hui illustrent à la fois son regard attentif sur l’Amérique et son sens de la narration. Le premier fait partie de son travail sur la Nation navajo, réalisé en 1948. McCombe y suit la vie quotidienne d’une famille navajo dans l’Arizona, documentant avec une grande empathie les gestes, les visages et les relations au sein d’une communauté confrontée à de profondes difficultés économiques et sociales. La jeune femme qu’il photographie incarne cette intimité, ce mélange de dignité et de fragilité que McCombe savait rendre palpable.
Le second portrait montre Clarence Hailey Long, cow‑boy texan photographié peu après dans son ranch. Cette image, qui sera pour l'agence publicitaire Leo Burnett l’inspiration directe de son légendaire « Marlboro Man », dépasse le simple portrait : en saisissant le mélange de solitude, de force et de quotidienneté qui caractérise la vie de ces hommes, Leonard McCombe inscrit son travail documentaire dans l’imaginaire collectif américain.
David Park - The bus (1954)
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres de l'américain David Park (1911-1960), figure fondatrice de l’École de San Francisco, qui marque le renouveau de la figuration dans l’Amérique des années 1950.
Né à Boston, Park s’installe très jeune en Californie, où il enseigne à la California School of Fine Arts. Avec Richard Diebenkorn et Elmer Bischoff, il s’éloigne peu à peu de l’abstraction dominante pour retrouver le motif humain – un geste audacieux à une époque où triomphait l’expressionnisme abstrait.
« Je voulais peindre des images que je connais et qui me tiennent à cœur ».
D.P. - Boston street scene (1954)

Ses tableaux, souvent peints de mémoire, montrent des scènes simples : des enfants qui jouent, des musiciens, des amis réunis, des baigneuses. Les formes sont larges, les couleurs épaisses et chaudes : c'est un rapport direct au monde, sans artifice ni théorie. On y sent la présence du peintre – son attention à la lumière, à la matière, à la vie ordinaire.
Ce que j’aime dans ces œuvres - et que je retrouve aussi dans les tableaux de Dylan - c’est cette tension entre la simplicité du sujet et la densité du geste : tout est proche et familier, mais la peinture dégage un sentiment de liberté presque sauvage. Dix ans plus tard, un autre vent de liberté soufflera sur la Californie ; mais chez Park, cette liberté est déjà là, silencieuse, inscrite dans la peinture même. Toutes les formes d'art sont au service du plus grand de tous les arts, disait Brecht : l'art de vivre.
Peter Turnley
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés du photographe américain Peter Turnley (b..1955), déjà présenté en août 2023. Je l’avais découvert sur Facebook, où il partage régulièrement son travail, entre reportages sur l’actualité internationale et moments de vie quotidienne à Paris, New York ou Cuba.

P.T. - La Tartine, Paris (2025)
Installé à Paris depuis 1978, il a couvert des conflits et des événements politiques et sociaux dans plus de quatre-vingts pays, tout en poursuivant des projets plus personnels, comme son journal visuel de la pandémie de Covid-19. Son dernier livre, Paris je t’aime – publié le mois dernier – compile cinquante ans de photographies de la capitale, qu’il connaît et aime profondément.
Il y conjugue la sensibilité du photographe de rue et la rigueur du photojournaliste. Je vois ce monde avec simplicité, disait un autre grand photographe - Saul Leiter -, c'est une source de joie infinie.

dimanche 2 novembre 2025

W.S. - I do not understand (2017)
Le vide-grenier du dimanche. Deux œuvres du peintre belge Walter Swennen (1946-2025).
Formé à Bruxelles en gravure, au fil d’une jeunesse aussi marquée par la poésie de la Beat Generation que par le happening, Swennen a choisi dans les années 1980 de se consacrer pleinement à la peinture.
Son travail aborde la peinture depuis l’intérieur : mots, signes, fragments d’objets, références à la bande dessinée ou à l’histoire de l’art sont détournés et réassemblés comme pour mieux montrer que, peindre, c’est toujours « peindre ».
W.S. - Bras d'honneur (2005)

Ni conceptuel ni expressionniste, Swennen refuse de s'enfermer dans un style. Ce qui l'intéresse, ce sont les rapports entre le mot et l'image, le sens et le non-sens, le figuratif et l'abstrait,........ le sérieux et l'humour.
Il s’agit moins de représenter que de laisser la peinture se faire, d’en éprouver sa logique propre : « Le comment détermine le quoi », disait-il - la manière de peindre prime sur le sujet.

samedi 1 novembre 2025

Anon.
Une image et des mots. "Entre les forts et les faibles c’est la loi qui protège et la liberté qui opprime", disait Lacordaire. Pour aller avec ce cliché dont je ne connais pas l'auteur, voici quelques lignes de Hugo, extraites des Misérables (1862) :

Tant qu'il existera, par le fait des lois et des moeurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d'une fatalité humaine la destinée qui est divine ; tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l'homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l'atrophie de l'enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; tant que, ,dans certaines régions, l'asphyxie sociale sera possible ; en d'autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu'il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles.

Phil Greenwood - Leaf fall (1979)

Une image et des mots. Une oeuvre du graveur et aquafortiste gallois Philip Greenwood (b.1943).
Et un poème de Nâzim Hikmet (1901-1963).

J'ai lu cinquante mille poèmes et romans
qui parlaient de la chute des feuilles en automne
j'ai vu cinquante mille films
sur la chute des feuilles en automne

j'ai vu cinquante mille fois tomber
les feuilles en automne
les feuilles qui tombent, qui traînent, qui
pourrissent sur le sol

cinquante mille fois j'ai entendu leur crissement sans vie
sous les semelles de mes souliers
entre mes paumes et au bout de mes doigts
et pourtant la chute des feuilles me serre toujours le cœur

surtout les feuilles qui tombent sur les boulevards
surtout s'il s'agit de feuilles de marronniers
surtout si des enfants passent par là
surtout s'il fait soleil

surtout si j'ai reçu ce jour-là une bonne nouvelle
me parlant d'amitié
surtout si mon cœur ne me fait pas trop mal
surtout si je crois que m'aime ma bien-aimée

surtout si ce jour-là je suis d'accord
avec les autres et avec moi-même
rencontrer la chute des feuilles en automne me serre le cœur
surtout celles qui tombent sur les boulevards
surtout s'il s'agit de feuilles de marronniers.

dimanche 26 octobre 2025

M. Denis - La cuisinière (1893)
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres de Maurice Denis (1870-1943). Peintre, graveur et théoricien, Denis occupe une place à part dans l’art français de la fin du XIXᵉ siècle. Né à Granville, il découvre sa vocation devant Fra Angelico au Louvre : la révélation d’un art à la fois mystique et construit, qui guidera toute sa vie sa quête d’unité entre foi, beauté et rigueur formelle. Élève de l’École des beaux-arts et de l’Académie Julian, il fonde avec Vuillard, Roussel et Sérusier le groupe des Nabis, dont il devient le théoricien. De là sa phrase célèbre : « Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille ou une femme nue, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. » Cette maxime résume sa vision : une peinture consciente d’elle-même, mais animée d’un élan intérieur.
M.D. - La digue rouge à Loctudy
(1894)

Sous l’influence de Gauguin et de Puvis de Chavannes, il développe un style décoratif et lumineux où les figures féminines - souvent inspirées de sa femme Marthe - évoluent dans des paysages idéalisés, baignés d’une lumière douce et harmonieuse.
Ses scènes, à mi-chemin entre symbolisme et classicisme, racontent moins qu’elles n’évoquent un état d’âme, un monde où - pour celui qui affirmait que “l’art reste une foi” - le visible devient signe de l’invisible. Installé au Prieuré à Saint-Germain-en-Laye, il y fonde en 1919 les Ateliers d’art sacré avec George Desvallières. Peintre du spirituel autant que du quotidien, Maurice Denis incarne l’idée d’une modernité fidèle au réel, qu’il éclaire par la foi et la couleur.

samedi 25 octobre 2025

Anon.

Une image et des mots. Pour accompagner cette image anonyme, quelques vers de Roberto Juarroz, extraits de sa Treizième poésie verticale.

Aujourd'hui je n'ai rien fait.
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi.
Des oiseaux qui n'existent pas
ont trouvé leur nid.
Des ombres qui peut-être existent
ont rencontré leur corps.
Des paroles qui existent
ont recouvré leur silence.

Ne rien faire
sauve parfois l'équilibre du monde,
en obtenant que quelque chose pèse
sur le plateau vide de la balance.

dimanche 19 octobre 2025

John Mayer - Lost in time (2024)
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres du peintre sud-africain John Meyer (b.1942), chef de file du réalisme contemporain en Afrique du Sud.
Né à Bloemfontein, formé à Johannesburg, il a d’abord travaillé dans la publicité avant de se consacrer entièrement à la peinture.
Sur son site, il écrit : “History, film and art are my great passions… I work alone, searching for the details, anything that may help me build an understanding of the work.”
J.M. - CG Hulle (2009)

Cette exigence se sent dans ses toiles : le soin du détail, la construction précise de la lumière, le temps passé à chercher ce qui rendra l’image juste. Admirateur de Velázquez et de Degas - et certains critiques le voient dans sa manière d’unir la rigueur du dessin à une sensibilité plus intime -, presque cinématographique, John Meyer est connu pour ses grandes séries thématiques - sur la guerre des Boers, la vie de Nelson Mandela, les migrations, ou encore The Planet Series - mais aussi pour ses portraits et ses paysages.

dimanche 12 octobre 2025

F. S. - Fisher girl, North Yorkshire (1890s)
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés du photographe anglais Francis Meadow “Frank” Sutcliffe (1853–1941), figure marquante de la photographie britannique de la fin du XIXᵉ siècle, et témoin privilégié de la vie dans la ville côtière de Whitby, dans le Yorkshire. Issu d’une famille d’artistes - son père, Thomas Sutcliffe, était peintre -, il découvre très jeune l’univers des images et de la lumière. Après la mort de son père, il doit subvenir aux besoins de sa famille et devient portraitiste, d’abord à Tunbridge Wells, puis à Whitby où il s’établit définitivement. C’est là qu’il réalise la majeure partie de son œuvre : une chronique visuelle de la vie quotidienne dans une petite ville maritime à la fin de l’époque victorienne.
F.M. Sutcliffe

Ses photographies de pêcheurs, d’enfants, de familles et de paysages du littoral sont aujourd’hui considérées comme un témoignage unique de cette époque.
Sutcliffe est resté fidèle à une ambition : montrer la dignité du monde ordinaire avec un sens aigu de la composition et de la lumière naturelle. Même lorsqu’il se disait contraint de "gagner sa vie avec les touristes", il trouvait dans les visages de ses voisins, dans les ruelles ou sur la plage, une poésie simple et directe. Membre fondateur du Linked Ring Brotherhood, qui défendait la photographie comme art à part entière, Sutcliffe a également beaucoup écrit sur son métier et dirigé, jusqu’à sa mort, le musée de Whitby.
Ce que j’aime dans ses images, c’est leur humanité tranquille ; ses photos semblent respirer la mer, la lumière, et la vie.

dimanche 5 octobre 2025

Ganjifa moghol
Le vide-grenier du dimanche. Deux Ganjifas, ces cartes d’un jeu ancien, originaire de Perse, qui a pris tout son essor en Inde à partir du XVIᵉ siècle, surtout sous les Moghols. Ces cartes ne sont pas simplement des cartes à jouer : elles sont peintes à la main, parfois sur des matériaux précieux : ivoire, écaille de tortue, bois, carton ou pâte de papier, selon le rang social et la fortune. Chaque jeu compte plusieurs enseignes (ou « suits »), numérotées de 1 à 10, plus deux cartes de cour : le roi (ou rajah) et le vizir/ministre. Dans les versions les plus élaborées comme le Dashavatara Ganjifa, on peut trouver 10 à 16 enseignes, avec des thèmes tirés de la mythologie, des avatars de Vishnou, des constellations...

Ganjifa moghol
La fabrication est méticuleuse. On prépare des supports (papier cartonné, bois ou même vieux saris), on peint à la main avec des pinceaux fins (parfois en poils d’animal), on utilise des pigments naturels (pierre broyée, insectes, feuilles, noirs de fumée), et souvent, on applique des couches de laque ou de vernis pour protéger et faire briller les couleurs. Avec le temps, le Ganjifa a décliné sous l’effet de la concurrence des cartes imprimées modernes, de la perte des artisans traditionnels, des nouveaux matériaux, voire du désintérêt pour les règles du jeu classique. Mais il connaît aujourd’hui un renouveau dans certaines régions comme Sawantwadi, Bishnupur, Odisha ou le Karnataka - non tant comme jeu populaire que comme objet d’art et de collection.
Ce que j’aime dans le Ganjifa, c’est qu’il résume en miniature ce que j’admire dans les arts traditionnels : le soin, le récit, la matière. Une carte de ce jeu, même délaissée comme outil, reste un petit tableau, un fragment d’histoire - mythe, astrologie, légende ou simple visuel raffiné.
Elle laisse deviner un monde ancien, où chaque image compte, chaque couleur, chaque trait.
Et je trouve ça émouvant : c’est un objet trivial - une carte à jouer - et en même temps empli de poésie. Triviales dans leur usage, mais précieuses par leur exécution, ces cartes rappellent combien, dans la culture indienne, le quotidien peut se mêler naturellement au spirituel et au merveilleux.

samedi 4 octobre 2025

C.Ebbets - Lunch atop a skyscraper (1932)

Une image et des mots. Pour aller avec ce cliché célébrissime, attribué à Charles Ebbets, voici quelques mots de Roger Caillois, un extrait de L'incertitude qui vient des rêves (1956).

J'ai cédé à un souci personnel constant, presque exclusif, invincible [.....]. Je veux parler d'un attrait ininterrompu pour les forces d'instinct, de vertige, du goût d'en définir la nature, d'en démonter autant que possible la sorcellerie, d'en apprécier exactement les pouvoirs ; de la décision, enfin, de maintenir sur eux, contre eux, la primauté de l'intelligence, de la volonté, parce que, de ces facultés seules naît pour l'homme une chance de liberté et de création.

dimanche 28 septembre 2025

Marsden Hartley - Himmel (1914)
Le vide-grenier du dimanche. Deux œuvres du peintre et poète américain Marsden Hartley (1877–1943), évoqué en juin 2011.
Né à Lewiston, dans le Maine, il connait une enfance marquée par la solitude et la perte, expériences qu’il transformera en moteur de sa création. Formé à Cleveland puis à New York, il découvre les avant-gardes européennes - Cézanne, Matisse, Kandinsky - mais son art restera profondément nourri par les écrivains américains Walt Whitman, Henry David Thoreau et Ralph Waldo Emerson. Leur vision de la nature et de la vie comme expérience spirituelle guide sa peinture autant que sa poésie et ses essais.

M.H. - Give us this day
Hartley voit l’art comme une quête intérieure : ses paysages du Maine, ses portraits et ses natures mortes sont autant de tentatives pour rendre visible l’invisible. La couleur, la forme et la lumière deviennent des instruments de méditation et de mémoire.
Même lorsqu’il s’inspire du cubisme ou de l’expressionnisme allemand, son œuvre conserve cette densité émotionnelle et cette résonance spirituelle, héritage du transcendantalisme américain.
Peindre pour Hartley, c’était revenir vers une « maison » intérieure faite de mémoire, de silence et de nature. Ses œuvres, entre ferveur et retenue, entre contemplation et intensité, témoignent d’une fidélité au monde intérieur, à la fois personnelle et universelle.

samedi 27 septembre 2025

Christa Merk
Une image et des mots. Un cliché de la photographe néerlandaise Christa Merk.
Et quelques vers de Saint-John Perse, extraits de Vents IV (1946).

Il nous suffit ce soir du front contre la selle, à l’heure brève de la sangle […] Mais quoi ! n’est-il rien d’autre, n’est-il rien d’autre que d’humain ?

Et ce parfum de sellerie lui-même, et cette poudre alezane qu’un songe, chaque nuit,

Sur son visage encore promène la main du Cavalier, ne sauraient-ils en nous éveiller d’autre songe

Que votre fauve image d’amazones, tendres compagnes de nos courses imprégnant de vos corps la laine des jodhpurs ?

dimanche 21 septembre 2025

M.E. - Maison au bord de l'eau
Le vide-grenier du dimanche. Deux toiles du peintre impressionniste grec Michalis Economou (1888-1933).
Né au Pirée, il se forme auprès de Konstantinos Volanakis avant de partir à Paris, où il vit une vingtaine d’années, exposant à Paris et à Londres. De retour en Grèce, il s’impose comme l’un des peintres les plus personnels de l’entre-deux-guerres.
Economou a surtout peint des paysages marins, des rivages paisibles, des maisons au bord de l’eau, comme autant d’évocations nostalgiques de son pays.
Exilé en France, il n’a jamais cessé de peindre cette Grèce intérieure, rêvée, dont il retrouvait la lumière par la couleur. Sa palette est faite de tons terreux - bruns, verts, ocres -, de nuances assourdies où la matière semble retenir la lumière plus qu’elle ne la reflète.

M.E. - Au champ
Ce qui me touche dans son travail, c’est cette atmosphère à la fois familière et distante, où les  paysages ne décrivent pas tant un lieu qu’un sentiment : celui du retour impossible, du souvenir qui se transforme en vision.
Chez Michalis Economou, la mer, le ciel, les murs blanchis ne sont pas seulement des motifs ; ils sont les signes d’une absence, la trace d’un attachement au pays que la peinture seule pouvait retenir.

NY4
ICI

dimanche 14 septembre 2025

Nick Hedges - Liverpool (1969)
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés du photographe anglais Nick Hedges, qui nous a quittés récemment. Formé au Birmingham College of Art, révélé par son travail documentaire engagé dans les années 1960 et 1970, il a été l’un des principaux photographes de la Shelter National Campaign for Homeless People, une organisation créée en 1966 pour dénoncer les conditions de logement en Grande-Bretagne.
Pendant près de dix ans, Hedges a sillonné le pays, photographiant les familles vivant dans des habitats insalubres, des logements précaires ou des cités ouvrières en déshérence.
Nick Hedges

Son regard, pourtant, n’a rien de misérabiliste : il capte la dignité, la tendresse et la solidarité dans des environnements souvent durs. Ses images, en noir et blanc, frappent par leur humanité directe et pudique, leur lumière douce, et cette attention à la vie ordinaire - gestes, visages, intérieurs modestes - qui fait toute la force du documentaire social britannique de cette époque. Ce sont des photographies qui, sans grandiloquence, continuent de parler de justice, de fragilité, et d’endurance.

dimanche 7 septembre 2025

Sergio Cerchi - Rendez-vous (2013)

Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres de l'italien Sergio Cerchi (b.1957). Né à Florence, où il vit et travaille, il a étudié à l’Istituto d’Arte di Porta Romana puis au Conservatoire Luigi Cherubini.
Très tôt, il a mené de front la musique et la peinture : deux pratiques qu’il considère comme indissociables et qui nourrissent son art.
Son travail s’est d’abord développé dans un esprit proche du cubisme, avant d’évoluer vers une forme plus personnelle, où les figures et les espaces semblent se déployer sur plusieurs plans à la fois. Cerchi parle lui-même de « figures et géométries » : un principe qui donne à sa vision du réel une portée à la fois artistique, philosophique et psychologique.

S.C. - Note finale
Les surfaces se fragmentent, se superposent, comme les notes sur une portée musicale ; les volumes et les horizons se brouillent, les visages et les objets se recomposent dans une dynamique continue.
Sa palette, dominée par des rouges carmin, des ocres, des verts et des bleus assourdis, rappelle la matière picturale et la densité des maîtres de la Renaissance italienne auxquels il reste très attaché.
Ce qui me retient dans son travail, c’est cette impression d’équilibre mouvant : les formes semblent se construire et se défaire à la fois, comme si la réalité cherchait sa propre cohérence. On ne sait jamais très bien, en regardant ses toiles, s’il nous montre une construction ou une déconstruction : chaque fragment paraît vouloir assembler le réel autant qu’il le fragmente. Il y a dans ses toiles quelque chose d’indécis, d’entre-deux : on ne sait pas si la réalité s’y rassemble ou s’y défait.
Cette hésitation, au cœur même de la peinture, semble rappeler que rien n’est jamais arrêté : que toute forme, comme toute réalité, se construit en se défaisant.

samedi 6 septembre 2025

Anon. - Madrid (c.1960)
Une image et des mots. Un cliché dont j'ignore l'origine, parfois attribué à un certain Elton Boraya, dont je ne sais rien.

En elle-même toute idée est neutre, ou devrait l'être ; mais l'homme l'anime, y projette ses flammes et ses démences ; impure, transformée en croyance, elle s'insère dans le temps, prend figure d'événement : le passage de la logique à l'épilepsie est consommé... Ainsi naissent les idéologies, les doctrines, et les farces sanglantes.
Idolâtres par instinct, nous convertissons en inconditionné les objets de nos songes et de nos intérêts. L'histoire n'est qu'un défilé de faux Absolus, une succession de temples élevés à des prétextes, un avilissement de l'esprit devant l'Improbable. Lors même qu'il s'éloigne de la religion, l'homme y demeure assujetti ; s'épuisant à forger des simulacres de dieux, il les adopte ensuite fiévreusement : son besoin de fiction, de mythologie triomphe de l'évidence et du ridicule. Sa puissance d'adorer est responsable de tous ses crimes...
Emil Cioran, Précis de décomposition (1949)
OE5

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dimanche 31 août 2025

Emile Zola - Denise (1900)
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés du grand romancier et photographe amateur Émile Zola (1840-1902), que l’on connaît évidemment comme romancier, mais beaucoup moins comme photographe. Et pourtant, à partir des années 1890, Zola s’est passionné pour la photographie, au point d’en faire un véritable laboratoire intime. Il s’équipe d’un matériel sophistiqué pour l’époque, développe lui-même ses plaques, et photographie tout ce qui l’entoure : sa famille, ses enfants, les paysages, mais aussi les rues de Paris, les gares, ou encore les scènes de la vie quotidienne.

E.Z. - Londres (1899)
Zola photographe n’était pas un amateur distrait, mais un expérimentateur, soucieux de technique et d’esthétique, qui a laissé plus de 700 plaques conservées aujourd’hui à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine.
Ses images sont à la fois simples et émouvantes ; pour la plupart elles ont été prises après la rédaction des Rougon-Macquart, un peu comme si, après avoir tant décrit le monde, il avait eu besoin, enfin, de le regarder.

dimanche 24 août 2025

Sasha Hartslief (2019)
Le vide-grenier du dimanche. Deux œuvres de la peintre sud-africaine Sasha Hartslief (b.1974). Autodidacte passionnée de dessin depuis l'enfance, elle s’est inspirée pour se former de maîtres classiques et impressionnistes comme John Singer Sargent ou Jean-Auguste-Dominique Ingres. Son travail, principalement figuratif, tourne autour de la lumière et de la vie domestique.

S.H. - The journey (2022)
Ses compositions, des scènes d’intérieur, sont tout imprégnées de sensibilité discrète : les personnages, souvent seuls ou plongés dans la contemplation, sont rendus avec une palette de couleurs douces et une maîtrise du clair-obscur héritée des grands maîtres du XVIIe siècle, qui confère à ses œuvres une belle atmosphère, subtile et intimiste.
À travers ses toiles, Hartslief propose sans emphase une exploration délicate de l'intimité humaine : la lumière met en relief les gestes, les postures, les objets... ; chaque détail devient un indice de vie et de présence. Sans chercher l’effet poétique, elle nous révèle la profondeur du quotidien et la singularité de l’expérience humaine.
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samedi 23 août 2025

Tamas Andok - Untitled (2016)
Une image et des mots. « On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. », écrit Nicolas Bouviers dans L'usage du monde (1963).
Pour accompagner ce cliché à l'iPhone du hongrois Tamas Andok (b.1988), quelques lignes de Joseph Conrad, extraites de Au coeur des ténèbres (1899).

« Je me trouvais au cœur de cette prodigieuse obscurité. J’avais pénétré jusque-là pour découvrir le secret du voyage, le sens de cette aventure qui m’avait appelé. Et ce que j’avais vu n’était point une énigme de la nature, ni un mystère de la terre, mais quelque chose d’enfoui dans les âmes humaines.
J’avais vu le masque de la civilisation tomber, et derrière lui, la folie nue, la vérité d’un cœur sans retenue, livré à lui-même. Le voyage ne m’avait pas mené au bout du monde : il m’avait ramené au centre des ténèbres — là où elles commençaient, en nous
. »

dimanche 17 août 2025

K. P-Vodkine - Nature morte (1928)
Le vide-grenier du dimanche. Deux œuvres du peintre russe Kouzma Petrov-Vodkine (1878–1939), figure singulière de l’art du début du XXᵉ siècle, à la croisée du symbolisme, du réalisme et des avant-gardes.
Formé à Saint-Pétersbourg puis à Paris, il développe très tôt un style immédiatement reconnaissable : compositions d’une grande clarté, couleurs franches, et cette fameuse perspective sphérique qui donne à l’espace une profondeur inhabituelle, presque cosmique.
Ses sujets restent simples - scènes domestiques, maternités, chevaux, portraits, natures mortes - mais tout y est traversé par une lumière calme, presque méditative. On y sent à la fois l’influence des icônes et celle d’une modernité naissante.

K.P-V. - La Vierge de compassion
Petrov-Vodkine, qui avait aussi étudié la théologie et la philosophie, cherchait à unir la peinture à une réflexion spirituelle : derrière ses couleurs pures et ses formes simples, il y a toujours une quête d’harmonie, une tentative d’ordre dans un monde en mutation.
J'aime surtout ses natures mortes, mais d'une façon générale ce qui me plaît dans sa peinture c’est cette alliance rare entre ferveur et retenue, entre spiritualité et quotidien - un art où tout semble à la fois ancré dans le réel et ouvert sur un espace plus vaste, presque intérieur.

dimanche 10 août 2025

R. Maltête - Au Pêcheur acharné
Le vide-grenier du dimanche. Deux nouveaux clichés du photographe français René Maltête (1930–2000), déjà présenté ici en novembre 2021. Deux images irrévérencieuses qui illustrent tout l’humour du photographe et montrent à quel point Maltête savait capter l’incongru, drôle ou poétique, dans le quotidien.
R.M. - Les 7 péchés capitaux

« Rien n’est plus nécessaire que l’humour, car il nous évite de souffrir des choses, face à notre impuissance individuelle à les modifier. »
Ces mots révèlent toute sa philosophie : l'humour comme outil de résistance, de prise de recul et de réflexion sur le monde. Ses images, tout en étant légères et souvent drôles, invitent le spectateur à poser un regard neuf sur le quotidien, à y déceler l’étrange et le poétique, tout en le poussant à questionner les conventions et les codes de notre société.

dimanche 3 août 2025

L.K. - Life in the suburbs (2019)
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres du peintre américain Leonard Kocianski (b.1952). Né à Cleveland, dans l'Ohio, il a étudié au Cleveland Institute of Art pour son Bachelor et à l’Université de Californie à Davis pour son Master, où il a été influencé par Wayne Thiebaud et la pensée structurelle de R. Buckminster Fuller.
Son travail se caractérise par une vision à la fois étrange et familière : des maisons de banlieue, des scènes nocturnes ou suburbaines, des personnages isolés ou en retrait, où les contrastes entre l'ombre et la lumière révèlent la solitude et la tension latente dans des environnements apparemment banals. 
L.K. - Night lights

Ce qui frappe, c’est cette tension presque surréaliste que l'on ressent, qui transforme le familier en un espace de réflexion et d’étrangeté.
Comme une dissonance qui s’installe sans qu’on sache vraiment à quoi l’attribuer. Elle tient sans doute aux oppositions lumineuses - ces intérieurs trop éclairés face aux zones de pénombre - mais pas seulement. Il y a aussi la manière dont les personnages semblent séparés, même lorsqu’ils partagent le même espace. Chacun paraît absorbé dans son propre silence, comme si la proximité rendait plus visible encore la distance. Dans ses toiles, Koscianski transforme ainsi la banalité du quotidien en une scène de trouble discret : le familier devient énigmatique, et la lumière, au lieu de rassurer, révèle ce qui sépare.

Albert Rieger - Clair de lune Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres du peintre et photographe autrichien Albert Rieger (1834-1905), form...