In girum imus nocte et consumimur igni

In girum imus nocte et consumimur igni
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samedi 12 avril 2025

C.Ebbets - Lunch atop a skyscraper (1932)

Une image et des mots. Pour aller avec ce cliché célébrissime, attribué à Charles Ebbets, voici quelques mots de Roger Caillois, un extrait de L'incertitude qui vient des rêves (1956).

J'ai cédé à un souci personnel constant, presque exclusif, invincible [.....]. Je veux parler d'un attrait ininterrompu pour les forces d'instinct, de vertige, du goût d'en définir la nature, d'en démonter autant que possible la sorcellerie, d'en apprécier exactement les pouvoirs ; de la décision, enfin, de maintenir sur eux, contre eux, la primauté de l'intelligence, de la volonté, parce que, de ces facultés seules naît pour l'homme une chance de liberté et de création.

DS2

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dimanche 6 avril 2025

K. Struss - Woman and branch (1912)
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés du photographe américain Karl Struss (1886-1981). Natif de New York, il se forme d’abord à la photographie au sein de la Columbia University, tout en travaillant dans l’atelier familial de fabrication de chapeaux. Très tôt, il se passionne pour la lumière, les textures, les effets atmosphériques. Il est parmi les premiers aux États-Unis à expérimenter les procédés autochromes, une technique de photographie couleur encore balbutiante à l’époque.
Ses premières œuvres, influencées par le pictorialisme, se caractérisent par une esthétique douce, presque impressionniste, à mi-chemin entre la peinture et la photo.
En 1910, ses images sont exposées par Alfred Stieglitz (voir nov. 2011) au sein de la célèbre galerie 291, aux côtés d’Edward Steichen (voir mars 2010) et Clarence White (qu'il faudra que je présente aussi), un signe de reconnaissance précoce et rare pour un si jeune photographe.

K.S. - Brooklyn Bridge, NY (1913)

Mais Struss ne s’arrête pas là. Fasciné par les possibilités narratives de l’image en mouvement, il se tourne vers le cinéma et s’installe à Hollywood en 1919. Il devient rapidement un directeur de la photographie recherché, qui va collaborer avec les plus grands réalisateurs de l’époque.
Sa carrière décolle véritablement avec "L'Aurore" (1927), chef-d'œuvre de F.W. Murnau - un de mes films préférés -, pour lequel il reçoit l’un des tout premiers Oscars de la meilleure photographie. Ce film est magnifique et reste une référence absolue pour son usage novateur de la lumière, des superpositions et des mouvements de caméra.
Par la suite, et tout au long de sa carrière, Struss va collaborer avec des réalisateurs majeurs comme Cecil B. DeMille ou Charlie Chaplin (L'Émigrant, Le Dictateur). Son approche, marquée par son passé de photographe - composition soignée, clairs-obscurs subtils -, va participer à l’élaboration du style visuel du cinéma hollywoodien classique.

samedi 5 avril 2025

O.S. - Nature morte (2015)
Une image et des mots. " L’escargot est naturellement héroïque, disait Alexandre Vialatte, car il ne recule jamais. » Pourtant, pour accompagner ce détail d’une nature morte d’Olga Smirnova (Nature morte aux raisins et à l’escargot, 2015), j’ai préféré une figure bien moins flatteuse : celle imaginée par Hans-Christian Andersen dans son conte Le rosier et l’escargot.

Le jardin était entouré de noisetiers. Au milieu, fleurissait un rosier, et sous lui vivait un escargot.
— Attendez que mon temps arrive ! disait l’escargot. Je ferai des choses bien plus grandioses que de fleurir, ou donner des noisettes, ou donner du lait comme les vaches et les moutons.
— Quand les ferez-vous ? demanda le rosier.
— Je prends mon temps. Attendre est plus excitant.
[…]
Un an plus tard, l’escargot était toujours là. Le rosier, lui, avait produit des fleurs fraîches, emportées par le vent ou cueillies.
— Rien n’a changé, dit l’escargot. Toujours des roses. Vous n’évoluez pas.
— Je ne peux pas faire autrement. Je sens une force de la terre et du ciel. Alors je fleuris. C’est ma vie.
— Vous avez eu la vie facile, dit l’escargot. Moi, j’ai une pensée plus profonde. Le monde ne m’intéresse pas, je me suffis.
— Mais nous ne devrions pas donner le meilleur de nous-mêmes ? Moi, je donne mes roses. Et vous, que donnez-vous ?
— Je crache sur le monde ! Je n’ai besoin que de moi.
Et l’escargot rentra dans sa coquille et la referma.
— C’est triste, dit le rosier. J’ai vu une femme garder une rose dans son missel, une autre fut portée par une jeune fille. Un enfant en a embrassé une. Cela m’a rendu heureux. Voilà ma vie.
[…]
Les années passèrent. L’escargot et le rosier devinrent poussière. Mais de nouveaux rosiers fleurirent. Et de nouveaux escargots grandirent à leurs pieds.
Ils rentraient dans leur coquille… car le monde ne les concernait pas. Allons-nous relire cette histoire une nouvelle fois ? Elle ne sera pas différente.

Dans ce conte, Andersen oppose deux figures : l’escargot, replié sur lui-même, convaincu de sa supériorité et trop « profond » pour agir, et le rosier, modeste mais généreux, qui offre ses fleurs sans rien attendre. L’escargot devient la métaphore d’un individualisme stérile, qui refuse de se mêler au monde au nom d’un idéal jamais réalisé. À l’inverse, le rosier incarne la fécondité de ceux qui, sans se poser en donneurs de leçons, apportent de la beauté et de la joie au monde - parfois à leur insu. Le conte dénonce avec douceur l’illusion d’un dépassement de soi - ou même tout simplement d'une importance de soi -, qui, à force de mépriser les choses simples, finit par ne rien produire.

dimanche 30 mars 2025

M.W. - Something died here (1947)

Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés de Minor White, déjà présenté le 11 août 2013. 

M.W. - Cabbage Hill, Oregon (1941)
Votre essence propre, en vous depuis la naissance, est votre qualité intérieure.  Cela est ce que vous savez de vous-même.
Quand vous vous approchez de quelque chose pour le photographier, soyez d'abord profondément calme avec vous-même, jusqu'à ce que l'objet affirme votre propre présence.
Lecteur de Gurdjieff, féru d'astrologie et de bouddhisme zen, Minor White inscrit son travail dans une quête à la fois esthétique et spirituelle que l'on pourrait rapprocher de ce qu'explorait Alfred Stieglitz avec Equivalents, son étonnante série d'études de nuages entreprise pendant près de dix ans à partir de 1922.

samedi 29 mars 2025

John Brack - Collins St., 5 pm
Une image et des mots. Une oeuvre du peintre australien John Brack (1920-1999), membre du groupe des Antipodeans.
Pour l'accompagner, un extrait de "Psychologie des foules" (1895), de Gustave le Bon (1841-1931).

Les civilisations n'ont été créées et guidées jusqu'ici que par une petite aristocratie intellectuelle, jamais par les foules. Les foules n'ont de puissance que pour détruire. Leur domination représente toujours une phase de barbarie. Une civilisation implique des règles fixes, une discipline, le passage de l'instinctif au rationnel, la prévoyance de l'avenir, un degré élevé de culture, conditions que les foules, abandonnées à elles-mêmes, se sont toujours montrées absolument incapables de réaliser.
Par leur puissance uniquement destructive, elles agissent comme ces microbes qui activent la dissolution des corps débilités ou des cadavres. Quand l'édifice d'une civilisation est vermoulu, ce sont toujours les foules qui en amènent l'écroulement. C'est alors qu’apparaît leur principal rôle, et que, pour un instant, la philosophie du nombre semble la seule philosophie de l'histoire.

dimanche 23 mars 2025

A. Brodowicz
À la recherche de Kafka, Prague
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés de la photographe polonaise Alicja Brodowicz. Diplômée de l'Institut de Photographie Créative d'Opava en République tchèque, elle a également étudié la littérature anglaise à l'Université d'Utrecht aux Pays-Bas.
Inspiré par celui de photographes comme Sally Mann, Anders Petersen et Josef Koudelka, son travail se concentre principalement sur le documentaire subjectif et la photographie artistique.

Alicja Brodowicz - Sans titre
Alicja Brodowicz est reconnue en particulier pour son exploration de la relation entre le corps humain et la nature, notamment à travers des diptyques qui juxtaposent des parties du corps avec des éléments naturels : une série intitulée "Exercices visuels".
D'une façon générale, je ne suis pas particulièrement sensible à la photographie artistique ou conceptuelle, et je me retrouve peu dans son univers très personnel. En revanche, ces deux clichés que je présente ici me plaisent beaucoup ; et ce n’est pas uniquement parce que le premier fait partie d'une série qui évoque un auteur qui m’est cher...

jeudi 20 mars 2025

Anon. - Madrid (c.1960)
Une image et des mots. Un cliché dont j'ignore l'origine, parfois attribué à un certain Elton Boraya, dont je ne sais rien.

En elle-même toute idée est neutre, ou devrait l'être ; mais l'homme l'anime, y projette ses flammes et ses démences ; impure, transformée en croyance, elle s'insère dans le temps, prend figure d'événement : le passage de la logique à l'épilepsie est consommé... Ainsi naissent les idéologies, les doctrines, et les farces sanglantes.
Idolâtres par instinct, nous convertissons en inconditionné les objets de nos songes et de nos intérêts. L'histoire n'est qu'un défilé de faux Absolus, une succession de temples élevés à des prétextes, un avilissement de l'esprit devant l'Improbable. Lors même qu'il s'éloigne de la religion, l'homme y demeure assujetti ; s'épuisant à forger des simulacres de dieux, il les adopte ensuite fiévreusement : son besoin de fiction, de mythologie triomphe de l'évidence et du ridicule. Sa puissance d'adorer est responsable de tous ses crimes...
Emil Cioran, Précis de décomposition (1949)
JC1

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dimanche 16 mars 2025

R. Rowland - Night shift (1984)
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres de l'artiste britannique Rob Rowland (b.1939), dont l'œuvre est profondément enracinée dans le patrimoine industriel et paysager du Royaume-Uni. Né et élevé dans les Midlands durant les années 1950 et 1960, il grandit dans un environnement marqué par les rues pavées, les réverbères à gaz, les canaux et les viaducs ferroviaires, autant d'éléments qui vont plus tard nourrir son imaginaire.
Dès son plus jeune âge, il aspire à travailler dans le domaine des arts visuels. Après avoir envisagé divers métiers – effets spéciaux, affiches de cinéma, art commercial – il intègre un atelier de restauration de tableaux avant de poursuivre sa formation au Gloucestershire College of Arts & Technology. Par la suite, il devient graphiste indépendant, puis rejoint le département artistique d'une brasserie nationale, où il conçoit et peint des enseignes traditionnelles de pubs.

R.R. - Stanier and Issigonis
C'est en 1985, à l'occasion des célébrations du 150ᵉ anniversaire du Great Western Railway, que Rowland découvre sa fascination pour la représentation des chemins de fer et, plus largement, pour le patrimoine industriel.
En 1991, il se consacre pleinement à sa carrière indépendante. Son champ d’intérêt s’étend alors aux paysages marins et aux scènes de la vie quotidienne, sous l’influence d’artistes victoriens et du début du XXᵉ siècle, comme John Singer Sargent, Lamorna Birch et Stanhope Forbes de l’école de Newlyn.

dimanche 9 mars 2025

A.M. - Vieux coeur de frêne
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés du photographe français Albert Monier (1915-1998), un de ceux dont l’œuvre a marqué l’histoire sans pour autant obtenir la reconnaissance qu’elle méritait de son vivant. Issu d’une famille modeste, il grandit entre l’Auvergne et la Normandie, où ses parents s’installent après la Première Guerre mondiale. Rien ne le destinait à la photographie qu'il découvre au contact de ses cousins agriculteurs. Il a alors une dizaine d’années et, déjà, un regard sensible sur l’art. Il s’essaie d'abord à l’aquarelle avant d’acquérir ses premiers appareils photo à l’âge de 18 ans et de se mettre à photographier son Auvergne natale, la rudesse des terres et la simplicité des hommes. Il n'y avait pas besoin de moi pour montrer les gens importants. J'ai fait le contraire, je me suis fait grandir avec des gens humbles.

A.M. - Prolongement
C'est ensuite le Maroc, où il perfectionne son art entre 1948 et 1950, en photographiant la vie quotidienne et les traditions locales avec une approche à la fois documentaire et poétique. Enfin, il s’installe à Paris, où il photographie les quais de Seine, les ruelles et les figures pittoresques, en cherchant toujours à révéler l’âme cachée des lieux et des gens, dans une capitale à la fois vivante et mélancolique.
Mais Monier comprend que la photographie peut être un art à la fois intime et universel, et il choisit de la diffuser à grande échelle par un médium inattendu : la carte postale; un moyen révolutionnaire de partager son regard avec le plus grand nombre. Ses clichés, d’une beauté saisissante et aux intitulés poétiques, tranchent avec l’imagerie stéréotypée des cartes classiques, et il va vendre plus de 80 millions de cartes postales à travers le monde, atteignant une popularité rare pour un photographe de son époque. Mais malgré son immense succès auprès du public, Albert Monier ne connaîtra jamais la reconnaissance du monde de la photographie, et lorsqu'il s’éteint en 1998 c'est dans une relative indifférence.
PF1

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samedi 8 mars 2025

Suffragette-defaced penny (1913-14)
Une image et des mots. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, voici un symbole méconnu de la lutte suffragiste : le Suffragette-defaced penny (ou penny altéré par les suffragettes). Il s'agit d'une pièce de monnaie britannique du début du XXe siècle, modifiée par des militantes de ce mouvement d'émancipation pour promouvoir leur cause.
Elles gravaient ou estampillaient des slogans comme celui-ci sur des pennies en cuivre, transformant ainsi un objet du quotidien en un outil de propagande politique.
Cette pratique visait à contourner la censure et à diffuser leur message de manière discrète mais efficace, puisque ces pièces continuaient à circuler dans la population. C’était un acte de protestation symbolique, qui exprimait la détermination des suffragettes à obtenir le droit de vote malgré la répression gouvernementale.
Et pour aller avec, j'ai choisi quelques vers du chant de ralliement de Winifred Banks, dans le merveilleux film de Robert Stevenson pour les studios Disney : le chef-d'oeuvre Mary Poppins.

"Well done, Sister Suffragette!"
From Kensington to Billingsgate
One hears the restless cries!
From ev'ry corner of the land:
"Womankind, arise!"
Political equality and equal rights with men!
Take heart! For Missus Pankhurst has been clapped in irons again!
No more the meek and mild subservients we!
We're fighting for our rights, militantly!
Never you fear!
So, cast off the shackles of yesterday!
Shoulder to shoulder into the fray!
Our daughters' daughters will adore us
And they'll sing in grateful chorus
"Well done! Well done!
Well done Sister Suffragette!"
GJ1

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dimanche 2 mars 2025

Jean Béraud - Un Figaro de rêve
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres du peintre français Jean Béraud (1849-1935), célèbre pour ses scènes de la vie parisienne sous la Belle Époque. Né à Saint-Pétersbourg, il s'installe à Paris après la mort de son père et étudie à l'École des Beaux-Arts sous la direction de Léon Bonnat.

J.B. - Au café, dit L'absinthe (1909)

Dans un style qui oscille entre réalisme et impressionnisme, il restitue avec une spontanéité et une minutie quasi-documentaires l’essence du Paris de la fin du XIXe siècle, à la manière d'un photographe de rue aujourd’hui : ses rues animées, ses cafés et ses buveurs d'absinthe, ses théâtres et ses élégantes figures mondaines..., les compositions de Béraud foisonnent de mouvement, de regards échangés, de petites anecdotes visuelles qui donnent l’impression d’un moment volé sur le vif. En ce sens, il pourrait sans doute être vu comme un précurseur du regard photographique appliqué à la peinture.
On compare souvent son travail à celui de Degas ou du flamboyant Giovanni Boldini, mais Béraud a encore quelque chose en plus : une touche narrative et un brin d’ironie qui rendent ses scènes plus vivantes, presque cinématographiques. Là où Degas capte l’instant et Boldini magnifie l’élégance, Béraud raconte des histoires, avec ce regard un peu amusé sur le Paris de son époque qui le rend si singulier.

dimanche 23 février 2025

G. Cummins - Toronto (2022)
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés du photographe irlandais Gary Cummins, déjà présenté en décembre 2023, et dont je sais aussi peu aujourd'hui qu'alors. Deux images où la ville nous est donnée à voir sous un prisme à la fois irréel et cinématographique.
Le brouillard épais qui enveloppe la première, et l'incandescence de la lumière, lui confère une dimension quasi dystopique; elle évoque une ville en expansion, comme engloutie par ses propres constructions, dans une ambiance apocalyptique et futuriste.

G.C. - Toronto (2020)
L'éclairage joue aussi un rôle clé dans l'atmosphère de la seconde image.
La lumière froide des néons des immeubles tranche avec les teintes chaudes des lampadaires et des reflets dans les vitres, ce qui crée une tension entre l’aspect glacial de l’environnement et une sensation de vie qui persiste malgré tout. Cette dualité renforce le sentiment d’isolement du personnage central, comme perdu dans l'immensité de cette ville qui semble nous aspirer vers le point de fuite au centre de l'image. Une scène qui pourrait tout droit sortir d'un film noir ou d’un récit cyberpunk, avec une narration implicite qui laisse libre cours à notre imagination.

samedi 22 février 2025

E. Longoni - Contrastes sociaux (1893)
Une image et des mots. Une oeuvre d'Emilio Longoni, connue aussi sous le titre "Reflets d'un homme affamé", et un extrait de Kyra Kyralina, un récit de Panaït Istrati dont on doit la découverte et la publication en 1923 à Romain Rolland.

Ce n'est pas vrai du tout, que l'être humain soit une créature qui comprenne la vie.
Son intelligence ne lui sert pas à grand-chose ; par le fait qu'il parle, il n'en est pas moins bête.
Mais là où sa bêtise dépasse même l'inconscience des animaux, c'est quand il s'agit de deviner et de sentir la détresse de son semblable.
Il nous arrive, parfois, de voir dans la rue un homme à la face blême et au regard perdu, ou bien une femme en pleurs. Si nous étions des êtres supérieurs, nous devrions arrêter cet homme ou cette femme, et leur offrir promptement notre assistance. C'est là toute la supériorité que j'attribuerais à l'être humain sur la bête. Il n'en est rien !

dimanche 16 février 2025

Eugène Atget - Joueur d'orgue (1898)
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés d'Eugène Atget (1857-1927), amoureux du Paris populaire et des petits métiers. 
Pionnier de la photographie documentaire, il a patiemment photographié les rues, boutiques, façades et jardins de la capitale au tournant du XXe siècle, constituant ainsi un témoignage inestimable d’un Paris en pleine transformation.
Sur la porte de son atelier était affiché "Documents pour artistes", tant était modeste la vision qu'il avait de son propre talent.. ; peu reconnu de son vivant, il est d'ailleurs redécouvert dans les années 1920 grâce à Man Ray et Berenice Abbott, qui voient en lui un précurseur de la photographie moderne.

E.A. - Zoniers, Porte de Choisy (1913)
Cette belle photo de musiciens des rues a été achetée à Atget en 1920 par Maurice Utrillo, le peintre des rues de Montmartre.
La zone, c'était un anneau d'environ 300 mètres autour de Paris, entre "les fortifs" - les fortifications de Thiers laissées à l'abandon -, et la banlieue. Une zone non aedificandi, propriété de l'armée. Entre 1899 et 1913, Atget s'est intéressé aux "zoniers", au petit peuple miséreux des chiffonniers, des rémouleurs et des marchandes de mouron qui vivaient là, dans des roulottes et des taudis éphémères, ICI.

dimanche 9 février 2025

J. van Eyck - Les époux Arnolfini
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres du peintre flamand Jan van Eyck (c.1390-1441). Des chefs-d'oeuvre, qui font partie de ses commandes privées les plus fameuses, et le premier est célébrissime.
La date et le lieu de naissance exacts de Van Eyck demeurent incertains, mais il est généralement associé à la ville de Maaseik, dans la principauté de Liège. Son œuvre marque une révolution dans l’histoire de l’art par sa maîtrise inégalée de la peinture à l’huile et son souci du réalisme.

Jan van Eyck
La Madone au chanoine van der Paele
Jan Van Eyck commence sa carrière en tant que peintre de cour pour Jean III de Bavière à La Haye avant d’être engagé pour les mêmes fonctions, en 1425, par Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Il ne se limite pas à la peinture : il réalise aussi des missions diplomatiques pour le duc, voyageant notamment au Portugal afin de négocier le mariage de celui-ci avec Isabelle de Portugal.
Installé à Bruges, il dirige un atelier et c'est là qu'il produit certaines de ses œuvres les plus célèbres (dont les deux qui sont présentées ici), et qu'il termine un des chefs-d'oeuvre ultimes de l'art primitif flamand, le retable de l'Agneau mystique, commencé par son frère Hubert.
Le travail virtuose de Van Eyck sur les effets de transparence et les superpositions de couleurs donne à ses oeuvres une profondeur et une luminosité extraordinaires. Par ailleurs, que ce soit dans le rendu des tissus, des paysages ou des reflets, son sens du détail est bluffant.
L'influence de ses innovations dans l'art de la peinture à l'huile est un héritage fondamental dans l'art du portrait et du réalisme dans la peinture occidentale.

dimanche 2 février 2025

Stanley Kubrick - New York (1940's)

Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés de l'américain Stanley Kubrick (1928-1999), d'abord jeune prodige de la photographie avant de devenir cinéaste génial, et déjà présenté en juillet 2011.

S. Kubrick - Shoe shine boy (1947)

À l'âge de 17 ans, plutôt que d'entrer à l'université, il décroche un job de photographe maison au prestigieux magazine new yorkais Look.
Des artistes, et donc de lui-même, Kubrick disait la chose suivante : Je ne pense pas qu'ils aient quelque chose de particulier à dire. Je pense qu'ils ont quelque chose qu'ils ressentent. Et ils aiment la forme de l'art : ils aiment les mots, ou l'odeur de la peinture, ou les images celluloïdes ou photographiques et travailler avec des acteurs. Je ne pense pas qu'un artiste véritable ait jamais été orienté par autre chose que sa propre vie intérieure, et la récompense est dans l'excitation de créer quelque chose qui est vivant et résonnera en d'autres personnes.

samedi 1 février 2025

Abel Grimmer - Proverbes flamands
Une image et des mots. Une oeuvre du peintre flamand Abel Grimmer (1570-1619), une huile sur panneau de bois représentant 49 proverbes flamands qui illustrent la vulgarité et la folie des hommes.
Les mots pour l'accompagner sont de la philosophe Laurence Devillairs, extraits de son ouvrage Être quelqu'un de bien, Philosophie du bien et du mal (2019).

Dans l'hostilité comme dans l'indifférence, ce que nous éludons et bafouons, c'est le face-à-face moral avec nous-mêmes, et avec ce que nous savons très clairement devoir faire. Nous nous accordons une dispense, nous nous achetons une bonne conscience ("On ne va pas changer les choses", "ce n'est pas à moi de le faire", "trop bon..."). Tel est l'athéisme moral, qui relègue l'injonction à bien agir dans les coulisses et les dimanches, loin des scènes majeures de l'existence. Telle est la méchanceté ordinaire qui habite un monde où la morale est secondaire, où le monde n'est pas un monde, habité et partagé, mais simple décor à ses activités.

dimanche 26 janvier 2025

Carali
Le vide-grenier du dimanche. Ce sera dans trois jours l'ouverture de la 52ème édition du Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême, et comme chaque année à cette occasion, voici deux artistes majeurs de mon petit panthéon.

Gotlib
Carali, qui a fait les beaux jours de l'irremplaçable Charlie Hebdo, et Marcel Gotlib - grand admirateur de Tex Avery et de Robert Crumb -, qui a fait avec Gai-Luron et la Rubrique-à-brac ceux de Pilote avant de cofonder avec Mandryka l'excellent Écho des Savanes.

dimanche 19 janvier 2025

Dain L. Tasker - Amazon lily
Le vide-grenier du dimanche. Deux radiographies florales du Dr. Dain L. Tasker (1872-1964), qui a magnifié l’alliance de la science et de l’art en dévoilant grâce à la radiographie la beauté intime des fleurs, l'expression - disait-il -, de la vie amoureuse des plantes. Chef radiologue au Wilshire Hospital de Los Angeles à une époque où la radiologie en était à ses balbutiements, il s’est lancé dans les années 1930 dans une exploration artistique unique, inspiré par une radiographie réalisée par un collègue.

Dain L. Tasker
Ses clichés, réalisés à partir de négatifs de rayons X, dévoilent la structure délicate et presque éthérée des pétales et des feuilles. Ces images spectrales, à l'esthétique minimaliste, révèlent toute la beauté fragile et le mystère organique des fleurs.
Encouragé par le photographe Will Connell, Tasker a exposé ses œuvres dans les salons prestigieux des Camera Pictorialists de Los Angeles et à l’Exposition internationale de San Francisco en 1939. Ses photographies, publiées dans des revues influentes comme U.S. Camera et Popular Photography, lui ont valu une reconnaissance tardive mais durable. Aujourd’hui, ses œuvres, parfois vendues à prix d’or, s’imposent comme des chefs-d’œuvre de poésie intemporelle qui célèbrent l’alliance subtile de la science et de l’art.

samedi 18 janvier 2025

R. Lalique - La femme ailée (1900)
Une image et des mots. Cette merveille Art nouveau du maître joaillier René Lalique porte le même nom qu'une nouvelle de Izumi Kyôka ; celle-ci raconte l'histoire d'un enfant qui vit avec sa mère près d'un pont.
Elle lui enseigne que les réactions humaines n'ont pas plus de valeur que celles des animaux...

"Ah, madame! Comme j'aimerais devenir un animal ! Il faut croire qu'ils sont tous des bêtes et que ce singe est l'un des leurs! Ils lui ont donné à manger, tandis qu'à moi, humain, ils n'ont pas prêté la moindre attention !" avait-il dit en jetant un regard courroucé autour de lui. Nul doute que ce vieil homme, lui, comprenait...
Non ! Il ne s'agissait pas pour lui de comprendre, il savait, sans avoir à le dire, que les hommes sont des animaux, m'expliquait ma mère.

dimanche 12 janvier 2025

S. Steinberg - Dancers
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres de l'illustrateur et dessinateur de presse Saul Steinberg (1914-1999), figure inclassable de l’art du XXe siècle. Célèbre notamment pour sa collaboration de plus de 50 ans avec The New Yorker, il y a redéfini les frontières entre humour graphique et art conceptuel. Né en Roumanie dans une famille juive, Steinberg a étudié la philosophie à Bucarest puis l’architecture en Italie, mais les lois antisémites de Mussolini le contraignent à l'exil ; il rejoint alors les États-Unis sans papiers, une expérience qui a profondément influencé son œuvre marquée par une réflexion constante sur l’identité, le déplacement et les frontières.

Saul Steinberg - Self portrait
Ses dessins emblématiques, comme la célèbre couverture View of the World from 9th Avenue (1976) - illustration satirique de la perception new-yorkaise du reste du monde -, sont immédiatement reconnaissables. Mais limiter Steinberg au rôle de dessinateur serait réduire considérablement la portée de son œuvre ; son style, à la fois minimaliste et riche de sens, mêle souvent des éléments de cartographie, de typographie et de narration visuelle pour commenter la condition humaine, les absurdités sociales et la complexité des identités culturelles. Proche de l’expressionnisme abstrait américain, et contemporain d’artistes comme Jackson Pollock et Willem de Kooning, il partageait leur quête de liberté formelle tout en restant inclassable : « Je ne suis pas entièrement dans le monde de l’art, ni dans le monde de la bande dessinée, ni dans celui des magazines, parce que le monde de l’art ne sait pas où me placer. »
Ses liens avec d’autres figures exilées comme Samuel Beckett, Alberto Giacometti et Eugène Ionesco ont enrichi son regard ironique et incisif sur le monde ; l'œuvre de Steinberg, "dessinateur de l'invisible", constitue un espace de réflexion plein d'humour et de profondeur sur la complexité des appartenances et la nature protéiforme de l’art.

dimanche 5 janvier 2025

Fred Lyon - San Francisco
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés du photographe américain Fred Lyon (1924-2022), "le Brassaï de San Francisco", dont l’œuvre incarne l’essence unique de la City of the Bay. Après un apprentissage précoce dans un studio-photo à l'âge de 14 ans, il étudie au prestigieux Art Center School de Los Angeles où il côtoie Ansel Adams (voir avril 2010, déc.2018, et mai 2019). D'un voyage à Yosemite avec le grand photographe paysagiste, et accompagné d'un groupe d'étudiants, il retient deux enseignements : une maxime du maître — "Il n’y a rien de pire qu’une image très nette d’un concept très flou" — et la certitude qu'il ne pourra jamais l'égaler dans le domaine du paysage. Mon sentiment était que je ne pourrais jamais apprendre tout ce qu’Ansel savait. Je ne pourrais jamais être plus qu’un Ansel Adams miniature si j’essayais d’être comme lui. Je n’allais jamais devenir photographe de paysage.

F.L. - Novelty shop (1949)
Fred Lyon choisit donc une voie radicalement opposée, intégrant des éléments urbains et humains dans ses clichés. Sa carrière, débutée dans les années 1940, explore les domaines du photojournalisme, de la mode, de l’architecture et de la publicité. Il capture avec maestria l’atmosphère brumeuse et cinématographique de San Francisco, immortalisant ses rues, ses ponts, ses scènes du quotidien dans des photographies noir et blanc empreintes de nostalgie. Celles-ci seront magnifiquement rassemblées dans son ouvrage San Francisco Noir (2020), disponible dans votre petite librairie indépendante. Ayant également servi comme photographe dans la marine américaine durant la Seconde Guerre mondiale, Lyon poursuivit ensuite une très honorable carrière en collaborant avec des magazines prestigieux comme Vogue et LIFE.
Par sa capacité à saisir l’âme d’une époque, et son profond attachement à sa ville natale qu’il considérait comme une source d’inspiration inépuisable, Fred Lyon est devenu l’un des grands chroniqueurs visuels de San Francisco.

samedi 4 janvier 2025

Antoine Roegiers - De l'autre côté (2024)
Une image et des mots. Une oeuvre d'Antoine Roegiers (b.1980) dont je viens de découvrir le travail à l'occasion de l'exposition que lui a consacrée du 30 octobre au 21 décembre la galerie Templon, à Paris.
Ce tableau m'a rappelé un passage de Traces (1959), de Ernst Bloch :

Un jour, dit-on, des paysans furent surpris aux champs par l'orage. Ils se mirent à l'abri dans une grange, mais la foudre, loin de s'éloigner, tournait en cercle autour de la cabane. Alors les paysans comprirent que la foudre visait l'un d'entre eux, et ils convinrent d'accrocher leurs chapeaux devant la porte. Celui dont le chapeau serait le premier arraché par l'orage devait être jeté dehors afin que les innocents ne périssent point pour le péché d'un seul. À peine les chapeaux furent-ils accrochés au-dehors qu'un coup de vent emporta le chapeau du paysan Li l'entraînant au loin à travers champs. Aussitôt les paysans jetèrent dehors le paysan Li ; et à l'instant même la foudre frappa la cabane, car Li était le seul juste.

C.Ebbets - Lunch atop a skyscraper (1932) Une image et des mots. Pour aller avec ce cliché célébrissime, attribué à Charles Ebbets, voici q...