In girum imus nocte et consumimur igni

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samedi 29 août 2020

Hisashi Hisano (1939)
Une image et des mots. Un cliché du photographe japonais Hisashi Hisano (1903-1946), et quelques vers de l'argentin Roberto Juarroz (1925-1995).

La realidad es un tiempo doblado
que es preciso desdoblar como una tela
de singular delicadeza
para encontrar adentro
otra mano que aguarda.

***
(traduction Roger Munier)

La réalité est un temps plié
qu'il faut déplier comme une toile
d'une singulière délicatesse
pour trouver au dedans
une autre main qui attend.

samedi 14 décembre 2019

Frederic Edwyn Church - River of light (1877)
Une image et des mots. L'américain Frederic Edwin Church (1826-1900) était une figure majeure de l'École de peintres paysagistes de l'Hudson River School, déjà évoquée ici avec Bierstadt en juin 2018.
À deux reprises, celui qui fut surnommé le Michel-Ange du paysage part en Amérique du sud, inspiré par les récits d'Alexandre de Humboldt, auteur du Voyage en Amérique équinoxiale et à qui l'on doit notamment l'exploration du Brazo Casiquiare, ce cours d'eau qui relie les bassins hydrographiques de l'Orénoque et de l'Amazone.

Ce tableau, River of light (1877), fruit de ces voyages, est conservé à la National Gallery of Art de Washington qui présente ainsi le peintre :
"Comme son maître Thomas Cole, Church exprime en célébrant dans ses paysages les merveilles apparemment infinies de la nature un sens stupéfiant du sublime. L'artiste consacrait énormément de temps à l'étude scientifique, convaincu que la connaissance de l'optique, de la météorologie, de la botanique et de l'écologie apporterait beaucoup à son travail."

Pour aller avec, j'ai choisi les mots de Roberto Juarroz, extraits de sa Dixième poésie verticale.

Eras el portador de la aventura
el huéped de lo insólito,
Titular de los trajines del milagro,
depositario de las rúbricas del viento,
capitán del azul inesperado,
reinventor general de lo existente.

No importa que las costras de la vida
sometieran tu heráldico penacho.
No importa que tu enorme expectativa
se hundiera en los sarcófagos bruñidos.
No importa que tus manos siempre abiertas
te las hayan cerrado con usuras.
No importa que tus sueños para todos
se volvieran un sueño para nadie.

Basta sencillamente que hayas sido
lo que alguna vez fuiste :
un hueco de tos joven
en la cueva envejica del mundo.

***

Tu étais le porteur de l’aventure,
l’hôte de l’insolite,
maître des allées et venues du miracle,
dépositaire des rubriques du vent,
capitaine du bleu inespéré,
réinventeur général de l’existant.

Peu importe que les croûtes de la vie
aient soumis ton panache héraldique.
Peu importe que ton énorme attente
se soit enfouie dans les sarcophages polis.
Peu importe que tes mains toujours ouvertes
aient été fermées par l’usure.
Peu importe que tes rêves pour tous
ne soient devenus un rêve pour personne.

Il suffit simplement que tu aies été
ce qu’un jour tu fus :
une caverne de jeune toux
dans la grotte vieillie du monde.

samedi 2 septembre 2017

Guayasamín - Manos de un mendigo
Une image et des mots. Une oeuvre du peintre équatorien Oswaldo Guayasamín (1919-1999).
Les mots sont encore de Roberto Juarroz, extraits  une nouvelle fois de Dixième poésie verticale.
La traduction (je me suis humblement permis une seule petite retouche) est de François-Michel Durazzo.

Hay horas que nos abren las manos
y dan vuelta como a un texto marchito
la lección fatigada que es el mundo.

La iniciativa no nos pertenece.
Las cosas se sueltan o se abren
como si hubiese ondas o corrientes o motivos
que recorren el tiempo y el espacio,
cambian las situaciones,
corrigen las sustancias,
desempolvan texturas
y hasta inventan quizá
nuevos modos del ser,
variaciones o escapes.

Y entre tantos procesos curiosamente ambiguos
no sólo se nos abren las manos
como maniobras fértiles,
sino que a veces también se posa algo sobre ellas,
como si viniera a descansar un instante del abismo.

***

Il est des heures qui nous ouvrent les mains
et retournent comme un texte fané
la leçon fatiguée qu'est le monde.

L'initiative ne nous appartient pas.
Les choses se déprennent ou s'ouvrent
comme s'il y avait des ondes, des courants ou des motifs,
qui parcourent le temps et l'espace,
changent les situations,
corrigent les substances,
dépoussièrent des textures
et peut-être même inventent
de nouvelles manières de l'être,
des variations ou des fuites.

Et parmi tant de processus curieusement ambigus
non seulement nos mains s'ouvrent
comme de fertiles manoeuvres,
mais parfois quelque chose se pose aussi sur elles,
comme pour se reposer un instant de l'abîme.

samedi 4 janvier 2014

Georg Nicolai Achen - Intérieur (1911)
Une image et des mots. Du peintre naturaliste danois Georg Nicolai Achen : Intérieur (1911). Pour la splendide composition, pour la transparence du voilage et la croisée estompée, pour les reflets du jour sur le parquet, sur les tableaux, et sur les angles des meubles.
Pour aller avec, j'ai pensé à ce poème de Juarroz:

Un reflejo en la pared
despierta a una palabra
que funda nuevamente al infinito.

Porque también el infinito muere
o se repliega entre paréntesis
Y sólo un punto de luz o su reflejo
puede instaurarlo de nuevo.

Ningún infinito
despierta a otro infinito.


***

Un reflet sur le mur
éveille une parole
qui fonde nouvellement l'infini.

Parce que l'infini aussi meurt
ou se replie entre parenthèses.
Et seul un point de lumière ou son reflet
peut l'instaurer de nouveau.

Aucun infini
n'éveille un autre infini.

samedi 5 octobre 2013

Bruno Catalano - Les voyageurs
Une image et des mots. L'image, c'est celle de ces sculptures de Bruno Catalano, exposées le mois dernier à Marseille. Nées accidentellement d'un démoulage raté, elle deviennent par ce même fait de magnifiques métaphores de l'incomplétude, et ce à double titre : celle de l'oeuvre d'art (quelle qu'elle soit ?), et celle de l'homme déraciné, l'homme en lambeaux.

Les mots, ils sont de Roberto Juarroz, extraits de sa Poésie verticale.

"Cada uno se va como puede, unos con el pecho entreabierto, otros con una sola mano, unos con la cédula de identidad en el bolsillo, otros en el alma... [...] Pero todos se van con los pies atados, unos por el camino que hicieron, otros por el que no hicieron, y todos por el que nunca harán."

***

"Chacun s'en va comme il peut, les uns avec la poitrine entrouverte, d'autres avec une seule main, les uns avec la carte d'identité dans la poche, d'autres dans l'âme.. [...] Mais tous s'en vont les pieds attachés, les uns par le chemin qu'ils ont fait, d'autres par celui qu'ils n'ont pas fait, et tous par celui qu'ils ne feront jamais".

samedi 4 février 2012

(A/U)
Une image et des mots. "Il est tard, levez-vous. Dans la rue un refrain vous appelle et vous dit "Voici la vie réelle", écrit Robert Desnos dans un de ses poèmes (Le réveil, 1944).

Il y a suffisamment d'indices sur cette photographie dont j'ignore l'auteur pour nous permettre de déterminer si ce monsieur aux souliers bien cirés est un tapeur de vitre parisien ou un "knocker-upper" londonien.
Peu importe, car cet office depuis longtemps disparu était - ici et là-bas - le même : de la main ou du bout d'une perche, il s'agissait de taper de bon matin au carreau de qui avait la veille demandé à être réveillé.... ou de qui devait l'être pour prendre son tour à l'usine.
Le poème qui suit est de Roberto Juarroz, extrait de Poésie verticale.

Llamamos desde un lado de la puerta,
desde afuera hacia adentro.
Después llamamos desde el otro lado,
desde adentro hacia afuera.
Aguardamos entonces las respuestas
y no llega ninguna.
Tal vez cada respuesta esté esperando a la otra.

***
On frappe d'un côté de la porte,
du dehors vers dedans.
Puis on frappe de l'autre côté,
du dedans vers dehors.
On attend alors les réponses
et aucune n'arrive.
Il se peut que chaque réponse
attende l'autre.

samedi 6 novembre 2010

Alexey Titarenko - Metro Nevski
Une image et des mots. La photo a été prise en 1993 à l'entrée de métro Nevski, à Saint Pétersbourg, par Alexey Titarenko.
Les mots sont de Roberto Juarroz, extraits du recueil Quinzième poésie verticale.

Los nombres que nos pueblan la vida,
nos consuelan tal vez de algo que falta
en el centro sin nombre de todo,
Los nombres que nos pueblan la vida
como pequeños duendes
o mínimos fantasmas
nos guardan sin embargo del mayor accidente :
la caída de la nada en la nada.
¿No será que los nombres
que nos pueblan la vida
señalan, por encima de las cosas que nombran,
el lugar de otro centro ?


***

Les noms qui peuplent notre vie,
nous consolent peut-être de ce qui manque
au centre sans nom de toute chose.
Les noms qui peuplent notre vie
comme de petits démons
ou de minuscules fantômes
nous protègent pourtant du plus grand accident :
la chute du néant dans le néant.
N’est-ce pas que les noms
qui peuplent nos vies
désignent, par-delà les choses qu’ils nomment,
le lieu d’un autre centre ?

JP4 ICI