In girum imus nocte et consumimur igni

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dimanche 6 novembre 2011

A. Stieglitz - The steerage (1907)
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés du photographe américain Alfred Stieglitz (1864–1946), déjà évoqué ici en mai dernier à propos du travail de Wynn Bullock. À la fois artiste, éditeur, théoricien et infatigable promoteur de la photographie comme art à part entière, Stieglitz demeure une figure fondatrice de la modernité photographique aux États-Unis.
Fils d’un marchand juif-allemand installé à New York, il découvre la photographie lors d’un séjour en Europe dans les années 1880. Il se forme à Berlin, où il étudie la chimie et aborde la photographie avec une rigueur scientifique.
À une époque où l’image photographique est encore perçue comme un procédé technique ou documentaire, Stieglitz s’engage passionnément pour sa reconnaissance artistique. En 1902, il fonde, sur le modèle du Linked Ring britannique, le mouvement Photo-Secession qui défend une photographie pictorialiste : floue, lyrique, souvent inspirée de la peinture symboliste ou impressionniste. Sa revue, Camera Work (1903–1917), devient une plate-forme incontournable de l'avant-garde photographique, accueillant aussi bien des photographes (Edward Steichen, Gertrude Käsebier) que des peintres ou écrivains modernistes.

A.S. - The Terminal (1892)
Mais Stieglitz fut aussi un formidable passeur : à travers ses galeries (291, puis An American Place), il introduit aux États-Unis des artistes européens comme Cézanne, Picasso, Matisse ou Brâncuși ; il expose des sculptures africaines, des dessins d’enfants, et publie des textes de Gertrude Stein ou Sadakichi Hartmann. Il n’a pas seulement façonné une vision de la photographie : il a contribué à définir un modernisme américain à part entière.
Le premier cliché présenté ici - The Steerage (en français l’Entrepont) - compte parmi les images les plus célèbres de l’histoire de la photographie.
Par sa composition rigoureusement géométrique, il est souvent considéré comme une œuvre fondatrice du modernisme photographique ; mais il possède aussi une forte valeur documentaire, en ce qu’il témoigne du sort des migrants européens traversant l’Atlantique dans les premières années du XXe siècle.
Je pense en le voyant à ces deux vers de Desnos ...
Comme l'espace entre eux devient plus opaque,
Le signe des mouchoirs disparut pour jamais.

samedi 5 novembre 2011

Elisabeth W. Roberts - Sailing along the Nile
(1904)
Une image et des mots. "I can paint as well as any man", protestait Elizabeth Wentworth Roberts (1871-1927), native de Philadelphie, alors qu'elle étudiait la peinture à l'Académie Julian, à Paris, où hommes et femmes étaient séparés. Plus tard, elle partit à Florence pour y réaliser des copies d'oeuvres de Botticelli et étudier les techniques des grands maîtres. 
Cette toile, Sailing along the Nile (1904), exposée un temps au Art Institute de Chicago, me rappelle ces lignes de l'égyptien Albert Cossery...
Elles sont extraites de la nouvelle "Le facteur se venge", publiée en France chez Losfeld dans un court recueil intitulé Les hommes oubliés de Dieu (1946).

"Sur le mur de la boutique blanchie à la chaux, une peinture populaire représentait une berge du Nil avec un voilier debout sur le fleuve, immobile comme s'il ne voulait plus se mouvoir, mais rester toujours ainsi, ayant peur du large et du vaste inconnu. Et il semblait que tout, quartier, êtres et choses, s'était figé comme ce voilier peint sur le mur, ne voulant plus comprendre qu'on puisse bouger; espérer d'autres buts que ceux déjà atteints; aller toujours plus loin sur la route... Et que c'était une folie."
DG1

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dimanche 30 octobre 2011

P. Mondrian - Row of trees along the Gein (1905)
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres du néerlandais Pieter Mondriaan - dit Piet Mondrian (1872-1944), figure centrale de l’abstraction géométrique et cofondateur du mouvement De StijlNé aux Pays-Bas, formé à l'Académie royale des beaux-arts d'Amsterdam, il débute pourtant sa carrière dans un registre bien différent : paysages bucoliques, moulins à vent, arbres et rivières, qu’il peint dans une palette sourde, héritée l’école de La Haye et nourrie de symbolisme.

P.M. - House on the Gein (1900)
En ce qui me concerne, plus encore que dans les compositions du fondateur du mouvement De Stijl - qui prônait une esthétique épurée fondée sur les seules lignes horizontales et verticales, et les couleurs primaires -, c’est dans ses paysages et ses arbres stylisés, encore enracinés dans le monde visible, que je trouve une poésie et une sensibilité qui me touchent profondément.
Je me suis arrêté au Mondriaan figuratif, et c’est ce versant-là de son œuvre que je souhaite présenter aujourd’hui. Avant qu’il ne se détache de toute figuration dans sa quête obsessionnelle de « l’essence des choses ».
Car, à partir des années 1910, sous l’influence du cubisme français et de ses propres recherches sur l’harmonie, Mondriaan entreprend une transformation radicale de son style. Son objectif : atteindre une forme de beauté universelle, débarrassée de toute représentation figurative.
« Si l’universel est l’essentiel, alors il est la base de toute vie et de tout art. Reconnaître et nous unir à l’universel nous procure la plus grande satisfaction esthétique, le plus grand sentiment de beauté. ». Ce qu’il appellera le néoplasticisme n’est donc pas une simple esthétique, mais une quête d’ordre, de spiritualité, de rythme absolu.
Il y a des artistes dont on se sent si proches qu'ils deviennent pour nous comme des frères...  Quand je serai grand j'écrirai un livre sur Mondriaan.
HM1

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dimanche 23 octobre 2011

A. Gursky - Mayday V (2006)
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés de l'allemand Andreas Gursky (b.1955), formé à l'académie des Beaux-Arts de Düsseldorf, où il enseigne aujourd'hui, par les photographes conceptuels Bernd et Hilla Becher.
Gursky, dont les photographies sont parmi les plus chères au monde,  est connu pour ses très grands formats, d'une extrême définition, souvent pris en surplomb, frontaux, et marqués par une froideur quasi clinique. Ce que je crois avoir compris, en lisant sur lui, c’est qu’il retouche, recompose, reconstruit ses images non pour les embellir, mais pour les condenser, en révéler la structure profonde. Il ne s’agit pas de saisir et de restituer le réel, mais d’en proposer une sorte de cartographie visuelle et critique. Cette monumentalité frontale, quelquefois presque abstraite, évoque les grands tableaux d’histoire… mais pour un monde où l’histoire paraît avoir été remplacée par le flux, l’accumulation, la saturation.. En cela, ses images agissent comme un miroir critique de la mondialisation, de l’économie de masse et du paysage.

A. Gursky - 99 Cent (1999)
Assez ironiquement, ce cliché d'un supermarché "hard discount" (tout à 99 cents), se classe au 5ème rang des photographies les plus chères au monde. Lors d'une vente publique le 7 février 2007, un premier tirage a été adjugé pour 3,34 millions de dollars.
La vente d'un autre tirage à New York en mai 2006 a rapporté 2,25 millions, et un troisième tirage y a été vendu 2,48 millions en novembre de la même année. 
My preferencee for clear structures is the result of my desire - perhaps illusory - to keep track of things and maintain my grip on the world.
À partir de 1990, avec le recours à la photographie numérique, il combine plusieurs clichés d'un même sujet pris depuis des angles différents, générant ainsi des reproductions répétées des objets qui le composent ou, comme à la Bourse de Tokyo, des êtres qui l'occupent.
I am never interested in the individual, but in the human species and its environment.
Il me semble qu'il y a dans les œuvres de Gursky une forme d’étrangeté poétique, comme si le chaos du monde, mis à plat, finissait par produire une forme d’ordre, voire de beauté.

RP1 ICI