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James Guthrie - Schoolmates (1884) |
Une image et des mots. Ce tableau, intitulé "Schoolmates" (1884) est de James Guthrie, membre des
Glasgow Boys, un groupe plutôt informel de peintres écossais de la fin du 19e. Comme chez George Clausen, déjà publié ici, on retrouve dans sa manière de peindre le quotidien des paysans parmi lesquels il vivait l'influence de Jules Bastien-Lepage. La représentation de ces écoliers - nous dit le commentaire du Musée de Gent où il est conservé - "dégage une simplicité naturelle et reflète le fier orgueil avec lequel les enfants assument leur pauvreté."
Quel regard ces écoliers avaient-ils sur le savoir et sur le monde ? Et quel monde sépare ce regard de celui que lui portent les enfants d'aujourd'hui ?
À la question rebattue du philosophe Hans Jonas : "Quelle planète allons-nous laisser à nos enfants ?", on pourrait répondre par celle de Jaime Semprun :
"À quels enfants allons-nous laisser le monde ?".
On apprend aujourd'hui qu'Internet, avec Google et Wikipedia, est devenu pour la plupart d'entre nous une source majeure d'enseignement, et les réseaux sociaux la première source d'information. Inquiétant...
Les mots qui suivent sont d'Edgar Morin, extraits de son manifeste Enseigner à vivre, publié chez Actes Sud en 2014.
"[.....] De plus l'enseignement public dans son ensemble se trouve pris à contre-pied par les médias et il ne sait souvent comment réagir [.....] à la culture de masse qui imprègne non seulement enfants et adolescents, mais la société dans son ensemble. De plus et surtout, Internet vient désormais apporter un gigantesque pêle-mêle culturel de savoirs, rumeurs, croyances en tous genres, sorte d'école sauvage contournant l'école officielle, où viennent s'informer et se former les nouvelles générations. [.....] Tout ce qu'a d'humaniste notre enseignement subit deux formidables pressions, l'une qui veut le coloniser à l'intérieur, celle de l'économie dite libérale et du technocratisme dominant, l'autre qui le corrode et l'amoindrit de l'extérieur, celle des médias et d'Internet."
Car au contraire du monde de James Guthrie, dans le monde connecté d’aujourd’hui - ce « village global » évoqué par McLuhan -, il devient facile pour chacun de s’exprimer largement, quelles que soient ses convictions ou son niveau d’information. Cette ouverture, qui pourrait être un progrès, permet aussi la diffusion rapide des théories du complot les plus folles, portées parfois par la sincérité, mais souvent détournées par l’ignorance ou la malveillance.
« Tout croire et ne rien croire, disait Poincaré, sont deux attitudes également commodes, qui dispensent de penser. » Kant, avant lui, formulait l’exigence centrale des Lumières : le
Sapere aude emprunté à Horace – « ose penser par toi-même ». À l’heure où désinformation, falsification et confusion prospèrent et brouillent les repères, c’est sans doute à ce précepte qu’il faudrait rattacher en priorité tout projet d’éducation et d’enseignement.