In girum imus nocte et consumimur igni

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samedi 4 août 2012

James Guthrie - Schoolmates (1884)
Une image et des mots. Ce tableau, intitulé "Schoolmates" (1884) est de James Guthrie, membre des Glasgow Boys, un groupe plutôt informel de peintres écossais de la fin du 19e (ici). Comme chez George Clausen, déjà publié ici,  on retrouve dans sa manière de peindre le quotidien des paysans parmi lesquels il vivait l'influence de Jules Bastien-Lepage. La représentation de ces écoliers - nous dit le commentaire du Musée de Gent où il est conservé - "dégage une simplicité naturelle et reflète le fier orgueil avec lequel les enfants assument leur pauvreté."
Quel regard ces écoliers avaient-ils sur le savoir et sur le monde? Et quel monde sépare ce regard de celui que lui portent les enfants d'aujourd'hui? À la question rebattue du philosophe Hans Jonas: "Quelle planète allons-nous laisser à nos enfants?", on pourrait répondre par celle de Jaime Semprun: "À quels enfants allons-nous laisser le monde?". On apprend aujourd'hui qu'Internet, avec Google et Wikipedia, est devenu pour beaucoup une source majeure d'enseignement, et les réseaux sociaux la première source d'information. Inquiétant...

Les mots qui suivent sont d'Edgar Morin, extraits de son manifeste Enseigner à vivre, publié chez Actes Sud (2014).

"[.....] De plus l'enseignement public dans son ensemble se trouve pris à contre-pied par les médias et il ne sait souvent comment réagir [.....] à la culture de masse qui imprègne non seulement enfants et adolescents, mais la société dans son ensemble. De plus et surtout, Internet vient désormais apporter un gigantesque pêle-mêle culturel de savoirs, rumeurs, croyances en tous genres, sorte d'école sauvage contournant l'école officielle, où viennent s'informer et se former les nouvelles générations. [.....] Tout ce qu'a d'humaniste notre enseignement subit deux formidables pressions, l'une qui veut le coloniser à l'intérieur, celle de l'économie dite libérale et du technocratisme dominant, l'autre qui le corrode et l'amoindrit de l'extérieur, celle des médias et d'Internet."

Car au contraire du monde de James Guthrie, le monde connecté d'aujourd'hui, le "village global" de McLuhan,  permet à n'importe qui - plus ou moins éclairé et de surcroît pas toujours animé des meilleures intentions - de se faire entendre de dizaines, de centaines de ses congénères aussi peu éclairés que lui et prompts de ce fait à gober avec la foi du charbonnier les énormités les plus consternantes. C'est ainsi qu'un nombre grandissant de crétins en phase terminale colportent et répandent les théories du complot les plus folles (ici).
Tout croire et ne rien croire, disait à peu près Poincaré, sont deux attitudes également commodes et qui toutes deux dispensent de penser. Kant avant lui, résumant tout l'esprit des Lumières, nous exhortait: "Ose penser par toi-même" (le "sapere aude" emprunté à Horace). C'est sans doute, dans un monde où prospèrent la désinformation, la falsification, et le mensonge, avant toute autre chose à ce précepte qu'il faudrait subordonner tout enseignement et toute éducation.