In girum imus nocte et consumimur igni

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samedi 3 juin 2023

Alfred Nybom - Maud Allan (1905)
Une image et des mots. Cette belle jeune femme, depuis longtemps redevenue poussière, était une danseuse étoile, chorégraphe, pianiste et compositrice américano-canadienne. 
Maud Allan (1873-1956) se rendit célèbre pour son incarnation  de la mythique Salomé.
Pour accompagner ce portrait qu'en fit le photographe pictorialiste finlandais Alfred Nybom, voici quelques lignes de Jules Laforgue, extraites de la facétieuse évocation qu'il nous donne dans "Moralités légendaires" (1887) de la fille d'Hérodiade.

Après un sommaire abatage de théogonies, théodicées et formules de la sagesse des nations (cela du ton bref d’un chef de chœurs qui dit :
« Une mesure pour rien, n’est-ce pas ? ») Salomé reprit son garulement mystique délirant un peu, la face bientôt renversée, la pomme d’Adam sautant à faire peur — comme plus bientôt elle-même qu’un tissu arachnéen avec une âme en goutte de météore transparaissant.

Ô marées, hautbois lunaires, avenues, parterres au crépuscule, vents déclassés des novembres, rentrée des foins, vocations manquées, regards des animaux, vicissitudes ! — Mousselines jonquille à pois funèbres, yeux décomposés, sourires crucifiés, nombrils adorables, auréoles des paons, œillets chus, fugues sans rapport. On se sentait renaître inculte, jeune au delà, l’âme systématique s’expirant en spirales à travers des averses aux clameurs indubitablement définitives, pour le bien de la Terre, et compris de partout, palpé de Varuna, l’Air Omniversel, qui s’assurait si l’on était prêt.

samedi 7 septembre 2019

Yaman Ibrahim - Smoker (2016)
Une image et des mots. Où il sera question du poids de la fumée... Pour l'illustrer, l'image est une belle photo du malaisien Yaman Ibrahim qui me fait penser à ces vers de Jules Laforgue, évoquant "ceux qui pour tuer le temps en attendant la mort fument au nez des dieux de fines cigarettes".

Les mots - extraits des dialogues de Smoke, un film formidable de Wayne Wang et Paul Auster -, c'est cet échange entre l'écrivain Paul Benjamin (William Hurt) et son ami buraliste Auggie (Harvey Keitel) à qui il vient acheter deux boîtes de cigarillos.




Auggie – Les gars et moi on était en train de discuter à propos des femmes et des cigares.
Paul Benjamin – Une vraie mine. Ça doit remonter à la reine Elisabeth.
Auggie – La reine d’Angleterre ?
Paul Benjamin - Ouais, Elisabeth Ire, pas Elisabeth II. T’as entendu parler de Sir Walter Raleigh ? […..] Ben, Raleigh c’est celui qui le premier a introduit le tabac en Angleterre. Et comme il était un favori de la Reine –Reine Beth comme il l’appelait – fumer est devenu à la mode à la cour.
[….) Un jour il a fait un pari avec elle, qu’il pourrait peser la fumée. C’est étrange, c’est un peu comme peser une âme. Mais Walter était un type futé ; il a pris un cigare, il l’a mis sur une balance, il l’a pesé. Puis il l’a allumé et l’a fumé, en faisant soigneusement tomber les cendres sur la balance.
Quand il l'eut terminé, il a posé le mégot sur les cendres et pesé le tout.
Il a soustrait ce poids de celui du cigare intact, et la différence c’était le poids de la fumée.