In girum imus nocte et consumimur igni

In girum imus nocte et consumimur igni
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dimanche 3 août 2025

L.K. - Life in the suburbs (2019)
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres du peintre américain Leonard Kocianski (b.1952). Né à Cleveland, dans l'Ohio, il a étudié au Cleveland Institute of Art pour son Bachelor et à l’Université de Californie à Davis pour son Master, où il a été influencé par Wayne Thiebaud et la pensée structurelle de R. Buckminster Fuller.
Son travail se caractérise par une vision à la fois étrange et familière : des maisons de banlieue, des scènes nocturnes ou suburbaines, des personnages isolés ou en retrait, où les contrastes entre l'ombre et la lumière révèlent la solitude et la tension latente dans des environnements apparemment banals. 
L.K. - Night lights

Ce qui frappe, c’est cette tension presque surréaliste que l'on ressent, qui transforme le familier en un espace de réflexion et d’étrangeté.
Comme une dissonance qui s’installe sans qu’on sache vraiment à quoi l’attribuer. Elle tient sans doute aux oppositions lumineuses - ces intérieurs trop éclairés face aux zones de pénombre - mais pas seulement. Il y a aussi la manière dont les personnages semblent séparés, même lorsqu’ils partagent le même espace. Chacun paraît absorbé dans son propre silence, comme si la proximité rendait plus visible encore la distance. Dans ses toiles, Koscianski transforme ainsi la banalité du quotidien en une scène de trouble discret : le familier devient énigmatique, et la lumière, au lieu de rassurer, révèle ce qui sépare.
LB1

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samedi 2 août 2025

Béla Tarr - Damnation (1988)
Une image et des mots. L'image c'est cette capture d'écran d'une scène de Damnation, du cinéaste hongrois Béla Tarr.
Pour aller avec, j'ai pensé à un extrait de la dernière page de Matinales (1956), de Jacques Chardonne.

"La mélancolique possession de la matière ne m'a point gêné; je n'en ai pas voulu, justement. J'en ai retenu l'inexplicable; l'amour, quelquefois, et avec méfiance; la beauté, toujours; les "plaisirs" quand ils sont l'ombre du bonheur; "l'art pour l'art", au sens profond, qui n'est pas sur le plan strictement terrestre, du moins qui est un peu dégagé de la substance humaine la plus éphémère, et qui devient grossier dans la mesure où il s'y insère davantage; en somme, les signes étranges d'un monde qui n'est pas proprement humain.
De ce monde invisible, je me suis approché à reculons, refusant toutes les interprétations comme sacrilèges. Je me sens plus humble encore, plus ouvert à tout le possible, plus confiant dans le doute, à mesure que vient l'heure de l'oubli; et si le Dieu qui m'a créé doit me recevoir, je lui rendrai sa créature telle qu'il l'a faite, l'esprit aveugle et que je n'ai pu changer."

dimanche 27 juillet 2025

Tom Wood - Merseyside (78-82)
Le vide-grenier du dimanche. Deux œuvres du photographe irlandais Tom Wood (b.1951). Formé à la peinture conceptuelle à Leicester Polytechnic mais autodidacte en photographie, Wood a développé un style instinctif et sans règles, documentant la vie quotidienne de Liverpool et du Merseyside entre 1978 et 2001 - dans les rues, les pubs et clubs, les marchés, les lieux de travail ou les stades - ainsi que les paysages de l’ouest de l’Irlande et du nord du Pays de Galles.

T.W. - All zones off peak (1998)
Son approche est à la fois directe et empreinte de respect : il photographie des inconnus mêlés à des voisins, amis ou membres de sa famille, avec une attention rare aux gestes, aux visages et aux relations humaines. Le critique Sean O’Hagan le décrit comme « un coloriste pionnier » dont le travail allie « spontanéité et intimité » sans jamais tomber dans le voyeurisme.
Martin Parr souligne de son côté : « Ses portraits sont forts, mais subtils et discrets. Tom a photographié des familles entières, des groupes de travailleurs, des couples et des individus, toujours avec un sens de dignité et de respect. »
Parmi ses séries emblématiques, Looking for Love (1989) saisit la vie nocturne d’un pub disco à New Brighton au début des années 1980, tandis que All Zones Off Peak (1998) rassemble près de vingt ans d’images prises depuis les bus de Liverpool - une traversée sensible de la ville à hauteur d’homme. Le travail de Tom Wood révèle la beauté fragile et persistante du quotidien, cet espace mouvant où se tissent les liens et les solitudes.

samedi 26 juillet 2025

Frances Featherstone - Far far away
Une image et des mots. Le paradis, disait Bachelard, est une immense bibliothèque.
Pour aller avec cette toile de l'artiste britannique Frances Featherstone, un extrait du pamphlet de Voltaire De l'horrible danger de la lecture (1765).
Par la voix feinte d’un décret ottoman, Voltaire tourne en dérision la phobie de l’imprimerie et de la diffusion des idées : il montre comment le pouvoir sacralise l’ignorance pour préserver ses privilèges.
L’extrait suivant (points 1–4) illustre parfaitement sa satire : arguments absurdes et pseudo‑juridiques dénoncent la peur des progrès que le livre peut susciter.

1. Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à dissiper l’ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés.
2. Il est à craindre que, parmi les livres apportés d'Occident, il ne s'en trouve quelques-uns sur l’agriculture et sur les moyens de perfectionner les arts mécaniques, lesquels ouvrages pourraient à la longue, ce qu'à Dieu ne plaise, réveiller le génie de nos cultivateurs et de nos manufacturiers, exciter leur industrie, augmenter leurs richesses, et leur inspirer un jour quelque élévation d'âme, quelque amour du bien public, sentiments absolument opposés à la saine doctrine.
3. Il arriverait à la fin que nous aurions des livres d'histoire dégagés du merveilleux qui entretient la nation dans une heureuse stupidité. On aurait dans ces livres l’imprudence de rendre justice aux bonnes et aux mauvaises actions, et de recommander l’équité et l’amour de la patrie, ce qui est visiblement contraire aux droits de notre place.
4. Il se pourrait, dans la suite des temps, que les misérables philosophes, sous le prétexte spécieux, mais punissable, d'éclairer les hommes et de les rendre meilleurs, viendraient nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple ne doit jamais avoir de connaissance.
LH1

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dimanche 20 juillet 2025

Jindřich Štreit - Krizov (1980)
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés de Jindřich Štreit (b.1946), né en Moravie et qui a fait de la campagne tchèque son premier territoire, celui d’un monde paysan que le régime communiste prétendait glorifier mais qu’il a su montrer dans sa vérité nue : foi, travail, solitude. Condamné en 1982 pour avoir “diffamé la République” - il avait osé photographier les icônes du pouvoir accrochées dans des lieux absurdes -, il a connu la prison avant de revenir, plus libre encore, à son regard de témoin.

J.S. - Slovaquie (1988)
Depuis, cet infatigable pédagogue du réel a photographié les Roms, les malades, les détenus, les toxicomanes, les sans-abri - toujours sans pathos, avec ce mélange rare de fraternité et de rigueur. “Les actions réalisées dans le silence de l’intimité sont de la plus grande importance”, dit-il. C'est ce que sont ses images : des actes silencieux qui redonnent aux invisibles la lumière du jour. Dans le gris du monde, Jindřich Štreit saisit le souffle moral de la photographie documentaire.

Peter Turnley Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés du photographe américain Peter Turnley (b..1955). P.T. - La Tartine, Paris (2025)