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Frances Featherstone - Far far away |
Une image et des mots. Le paradis, disait Bachelard, est une immense bibliothèque. Pour aller avec cette toile de l'artiste britannique Frances Featherstone, voici un extrait du réjouissant pamphlet de Voltaire De l'horrible danger de la lecture (1765).
Par la voix feinte d’un décret ottoman, Voltaire tourne en dérision la phobie de l’imprimerie et de la diffusion des idées : il montre comment le pouvoir sacralise l’ignorance pour préserver ses privilèges.
L’extrait suivant (points 1–4) illustre parfaitement sa satire : arguments absurdes et pseudo‑juridiques dénoncent la peur des progrès que le livre peut susciter.
1. Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à dissiper l’ignorance, qui est la
gardienne et la sauvegarde des États bien policés.
2. Il est à craindre que, parmi les livres apportés d'Occident, il ne s'en trouve quelques-uns sur
l’agriculture et sur les moyens de perfectionner les arts mécaniques, lesquels ouvrages pourraient à
la longue, ce qu'à Dieu ne plaise, réveiller le génie de nos cultivateurs et de nos manufacturiers,
exciter leur industrie, augmenter leurs richesses, et leur inspirer un jour quelque élévation d'âme,
quelque amour du bien public, sentiments absolument opposés à la saine doctrine.
3. Il arriverait à la fin que nous aurions des livres d'histoire dégagés du merveilleux qui entretient
la nation dans une heureuse stupidité. On aurait dans ces livres l’imprudence de rendre justice aux
bonnes et aux mauvaises actions, et de recommander l’équité et l’amour de la patrie, ce qui est
visiblement contraire aux droits de notre place.
4. Il se pourrait, dans la suite des temps, que les misérables philosophes, sous le prétexte spécieux,
mais punissable, d'éclairer les hommes et de les rendre meilleurs, viendraient nous enseigner des
vertus dangereuses dont le peuple ne doit jamais avoir de connaissance.