In girum imus nocte et consumimur igni

In girum imus nocte et consumimur igni
eiπ + 1 = 0
Affichage des articles dont le libellé est Pieter Brueghel l'Ancien. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Pieter Brueghel l'Ancien. Afficher tous les articles

samedi 18 décembre 2021

Brueghel l'Ancien - La parabole des aveugles (1568)
Une image et des mots. Un tableau de Pieter Brueghel l'Ancien, La parabole des aveugles (1568), conservé au Musée Capodimonte de Naples.
Ce tableau fait référence à la parabole du Christ adressée aux pharisiens : "Laissez-les : ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles..." (Matthieu 15, 14).

Le texte, de Gilles Lapouge, est extrait de son essai Utopie et civilisations.

"L’histoire est une aventure abominable. Elle est boueuse, elle n’a pas de sens et elle massacre. Ses riches heures éblouissent, mais leurs guirlandes et leurs quinquets n’allument aucune fête ou bien c’est un carnaval de gisants.
Et pourtant, les hommes ont inventé leur demeure. Ils sont sortis de la forêt et ils ont érigé des villes.
Leurs monuments, leurs barrages, les usines et les ports, les routes, les châteaux et les bibliothèques, les musées ont ajouté aux géologies extravagantes de Dieu celles de leur décision.
Les cités étincellent sur l’espace pacifié des prairies. Une ceinture de lumière encercle la Terre.
Les savants ont dérobé à la nature ses secrets, ils énoncent le problème des astres et le chiffre de la matière, mais le mystère ne se défait que pour tracer d’autres arabesques. Tant de science et ces beaux frontons, ces auriges et ces capitaines, ces Parthénons et ces mégalopoles n’entament pas les splendeurs lisses du néant.
Sur la nuit de ses miroirs, les générations se succèdent, à tâtons, comme chancellent les aveugles de Jérôme Bosch."

samedi 18 février 2012

Pieter Brueghel - Jeux d'enfants (1560)
Une image et des mots. L'image est une peinture sur bois de Pieter Brueghel l'Ancien (c.1530-1569), conservée au Musée d'histoire de l'art de Vienne.
Chaque homme cache en lui un enfant qui veut jouer, disait Nietzsche.
J'ai pensé à cet extrait de Belle du Seigneur (1968), d'Albert Cohen.

Dans la salle des pas perdus, les ministres et les diplomates circulaient, gravement discutant, l'oeil compétent, convaincus de l'importance de leurs fugaces affaires de fourmilières tôt disparues, convaincus aussi de leur propre importance, avec profondeur échangeant d'inutiles vues, comiquement solennels et imposants, suivis de leurs hémorroïdes, soudain souriants et aimables. Gracieusetés commandées par des rapports de force, sourires postiches, cordialités et plis cruels aux commissures, ambitions enrobées de noblesse, calculs et manoeuvres, flatteries et méfiances, complicités et trames de ces agonisants de demain.

samedi 4 septembre 2010

Brueghel l'Ancien - Le triomphe de la mort (1562)
Une image et des mots. Cette oeuvre de Pieter Brueghel l'Ancien, Le Triomphe de la Mort (1562), est conservée au Musée du Prado, à Madrid.
Dans son Histoire de la peur en Occident, Jean Delumeau écrit ceci :
« Il n’y a pas à chercher bien loin où Brueghel a puisé l’idée de la charrette pleine de squelettes qui figure dans son Triomphe de la mort.
Durant une vie d’homme de la ville, il était normal d’avoir vécu au moins une peste et assisté au stupéfiant va-et-vient des tombereaux entre les maisons et les fosses communes.»


Cette charrette, c'est mon lien avec le poème de Wilfred Owen (1893-1918) que voici... Considéré comme le plus grand poète de guerre de langue anglaise, celui qui dans ces lignes dénonçait l'absurdité de la guerre est mort quelques jours avant l'armistice, à l'âge de vingt-cinq ans.

Dulce et decorum est.

Bent double, like old beggars under sacks,
Knock-kneed, coughing like hags, we cursed through sludge,
Till on the haunting flares we turned our backs,
And towards our distant rest began to trudge.
Men marched asleep. Many had lost their boots,
But limped on, blood-shod. All went lame; all blind;
Drunk with fatigue; deaf even to the hoots
Of gas-shells dropping softly behind.

Gas! GAS! Quick, boys!—An ecstasy of fumbling
Fitting the clumsy helmets just in time,
But someone still was yelling out and stumbling
And flound’ring like a man in fire or lime.—
Dim through the misty panes and thick green light,
As under a green sea, I saw him drowning.

In all my dreams before my helpless sight,
He plunges at me, guttering, choking, drowning.

If in some smothering dreams, you too could pace
Behind the wagon that we flung him in,
And watch the white eyes writhing in his face,
His hanging face, like a devil’s sick of sin;
If you could hear, at every jolt, the blood
Come gargling from the froth-corrupted lungs,
Obscene as cancer, bitter as the cud
Of vile, incurable sores on innocent tongues,—
My friend, you would not tell with such high zest
To children ardent for some desperate glory,
The old lie:
Dulce et decorum est pro patria mori.


***
(Traduction de Georges Gernot)

Pliés en deux comme de vieux mendiants sous leur sac,
Les genoux cagneux, toussant comme des sorcières, jurant, sacrant, nous avancions dans la boue,
Jusqu'à tourner le dos aux fusées éclairantes, notre hantise
Et à nous mettre à patauger péniblement vers notre lointain repos.

Les hommes dormaient debout. Beaucoup avaient perdu leurs brodequins
Mais continuaient, boitant, les pieds en sang. Tous estropiés, tous aveugles ;
Ivres de fatigue, sourds même au mugissement
Des obus de Cinq-neuf qui au bout de leur course, distancés, tombaient dans notre dos.

Les gaz ! les gaz ! Vite les gars ! Extase de tâtonnement,
Ajuster les masques peu pratiques juste à temps —
Mais voilà que quelqu'un se mit à hurler, à trébucher,
À se débattre comme un homme dans les flammes et la chaux…
Flou, derrière nos vitres embuées et l'épaisse lumière verte,
Comme une mer verte, je le vis se noyer.

Dans tous mes rêves, devant mes yeux impuissants,
Il plonge sur moi, se vide, s'étouffe, se noie.

Si dans certains rêves suffocants, vous pouviez vous aussi
Marcher derrière la charrette où nous l'avions jeté,
Et voir les yeux tout blancs rouler dans son visage,
Son visage qui pend, comme celui d'un démon malade du péché ;
Si vous entendiez, à chaque cahot, le sang
Qui gargouille et s'écoule de ces poumons empoisonnés,
Cancer obscène, tel le reflux amer de plaies
Infectes et incurables sur des langues innocentes, —
Mon amie, vous mettriez moins de zèle à répéter
À des enfants en mal de gloire désespérée,
Le vieux mensonge :
Dulce et decorum est pro patria mori.

JP4 ICI