In girum imus nocte et consumimur igni

In girum imus nocte et consumimur igni
eiπ + 1 = 0

samedi 2 mars 2019

Une image et des mots. L'image, c'est ce cliché par John Fletcher de maisons surplombant les aciéries de Pittsburgh.

Les mots sont de Joseph Ponthus, extraits de son premier livre, À la ligne - Feuillets d'usine, paru il y a quelques semaines à la Table Ronde.
Les voici dans leur mise en page et avec leur absence de ponctuation.

Au fil des heures et des jours le besoin d'écrire
S'incruste tenace comme une arête dans la gorge

Non le glauque de l'usine
Mais sa paradoxale beauté.

Sur ma ligne de production je pense souvent à une
parabole que Claudel je crois a écrite
Sur le chemin de Paris à Chartres un homme fait le
pèlerinage et croise un travailleur affairé à casser
des pierres
Que faites-vous
Mon boulot
Casser des cailloux
De la merde
J'ai plus de dos
Un truc de chien
Devrait pas être permis
Autant crever
Des kilomètres plus loin un deuxième occupé au
même chantier
Même question
Je bosse
J'ai une famille à nourrir
C'est un peu dur
C'est comme ça et c'est déjà bien d'avoir du boulot
C'est le principal
Plus loin
Avant Chartres
Un troisième homme
Visage radieux
Que faites-vous
Je construis une cathédrale

HP1
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dimanche 24 février 2019

Alec Soth - Ute's books (2018)
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres du photographe américain Alec Soth, (b.1969), dont le travail m’attire depuis longtemps pour sa façon subtile de mêler le documentaire, le récit et l’intime. Membre de Magnum Photos depuis 2008, il est notamment connu pour ses projets photographiques de longue haleine, comme "Sleeping by the Mississippi" (2004) ou "Broken manual" (2008), qui à travers portraits et paysages documentent la société américaine dans sa poignante banalité.
Le travail de cet admirateur de Diane Arbus a été comparé, pour son approche, à celui de Walker Evans (voir juillet 2012) ou de Stephen Shore (voir mai 2010).
A.S. - Broken manual (2008)

Soth photographie souvent les États-Unis du Midwest ou les espaces frontaliers entre nature et ville. Ce qui me plait, ce sont ses images de l'Amérique ordinaire - routes silencieuses, personnes isolées, intérieurs délaissés - qui paraissent à la fois familières et légèrement décalées. Cette transformation de l'ordinaire, il n'en fait pas de la grandeur ; mais il montre ce qu’il y a de vivant et de fragile dans ce que l’on croit connaître. Ses photographies semblent chercher ce « quelque chose de plus » : une mélancolie douce, une attente, des histoires que l’on devine.
I'm drown to the quiet moments, the moments in between the moments. It's not about the grand gesture; it's about the small, subtle things that reveal something deeper about who we are.
Alec Soth a intégré la prestigieuse agence Magnum Photo en 2004, et la première photographie figure sur son très beau dernier livre, publié en 2018 et intitulé "I know how furiously your heart is beating".
TA1

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samedi 23 février 2019

Malcolm T. Liepke
Une image et des mots. La toile est de l'américain Malcolm Liepke (b.1953), déjà présenté en septembre 2012..
Les mots sont extraits de Les habitants, une collection de conversations recueillies par Raymond Depardon et restituées, telles qu'il les a enregistrées, dans un ouvrage paru au Seuil en 2016.

- Je t'ai jamais empêché, non plus, tu m'as jamais demandé...
- Ouais mais bon.. À chaque fois que j'essaie d'y aller, tu me dis non... Tu vois...
- Oui, mais c'est la jalousie ça...
- Tu fais la gueule et tout. Moi, tu me demandes d'aller avec tes copines, voilà, t'y vas et puis c'est tout. Tu vois..
- Oui mais t'es aussi jaloux que moi dans ton sens, donc...
- Ouais, mais...
- C'est ça qu'il faut que tu comprennes. Faut que ce soit réciproque.
- Non mais regarde, genre, quand on sort au café, t'es toujours en train de m'espionner. Tu vois...
- Oui mais c'est la jalousie, c'est...
- Moi je peux faire pareil avec mes potes, quand mes potes ils sont là et que t'es la seule fille, tu vois, je peux être jaloux aussi, tu vois..
- Ouais, je sais, ouais, je me doute. Bref, on va pas...
- Si, ça saoule un peu, tu vois...
- Ouais mais moi j'y peux rien, c'est..... c'est dans ma nature, c'est mon tempérament, je suis comme ça. Tu le sais à force. Ça fait quand même trois ans qu'on est ensemble.
- Ouais, je sais, ouais, mais bon, laisser un peu de distance ça serait bien quand même..
- Quand t'avais encore ton boulot c'était bien parce que ça nous faisait des petites coupures entre nous, on était contents de se retrouver le soir mais bon, on n'a plus la même situation..
- Ouais, je sais, ouais..
- C'est un peu compliqué. Après je t'empêche pas non plus, si tu veux sortir avec tes copains, tu peux sortir, fais-toi plaisir, amuse-toi. Je vais pas non plus tout casser entre nous pour... pour une sortie entre amis.
- J'espère. Bon, faudra faire ça, puis essayer quoi...
- Ouais.
- Ok?
- Ouais
- Je t'aime.
- Moi aussi je t'aime. Ce soir tu vas à la pêche?
- Ouais.
- Avec qui?
- Avec des potes, deux trois potes et puis on verra bien ce qu'on fait là-bas.
- Ok.
- Je vais rentrer vers trois quatre heures du matin.
- Ok. T'as tout ton matériel, t'as tout ce qui te faut?
- Ouais.
- Tant mieux alors. J'espère que tu vas pêcher du poisson.
- J'espère aussi, ouais.
- J'espère.
JJ1

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dimanche 17 février 2019

Jacob Riis - Bandit's Roost (1888)
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés de Jacob Riis (1849-1914), journaliste et photographe d’origine danoise, devenu l’un des grands témoins de la misère new-yorkaise à la fin du XIXᵉ siècle. Charpentier de formation mais sans travail il quitte le Danemark à l'âge de 21 ans pour tenter sa chance en Amérique ; il arrive sans un sou en 1870 à New York où il va difficilement survivre, pendant plusieurs années, d'errances en emplois précaires - travailleur agricole, ouvrier métallurgiste -, jusqu'à ce qu'il parvienne à se faire engager en 1877 comme apprenti-journaliste au New York Tribune.
Pionnier du photojournalisme d'enquête, il eut avec son travail sur la pauvreté à New York une influence majeure sur l'évolution des mentalités pendant l'ère progressiste de Theodore Roosevelt. 

J.R. - Homeless children (1890)

The slum is the measure of civilization.
Les missions qui lui sont confiées le confrontent à la misère des bidonvilles et des taudis newyorkais. C'est une vie qu'il a connue lui-même, la détresse et les difficultés auxquelles les immigrants quotidiennement font face pour survivre, et qu'il va documenter d'abord avec sa plume puis avec la photographie.
Il organise des rassemblements, souvent dans des églises, pour porter témoignage de ce qu'il voit, et c'est à l'occasion d'une de ces manifestations qu'il rencontre celui qui publiera en 1890 le résultat de son travail documentaire sous le titre de How the other half lives. En y révélant les conditions effroyables de vie des immigrés entassés dans les tenements de Manhattan, Riis a contribué à éveiller l’opinion publique et à inspirer les réformes sociales et urbaines qui suivront. Ses images dévoilent sans fard des intérieurs exigus, des dortoirs saturés, des visages d’enfants malnutris.
Theodore Roosevelt, qui n'est pas encore président mais déjà très influent, les découvre et admire son travail qui dès lors aura une influence déterminante sur les mouvements de réforme sociale à New York. On peut, bien sûr, voir dans ces photographies une dimension de témoignage social et militant. Mais ce qui frappe aussi, c’est leur force brute : elles ne cherchent pas l’effet esthétique, elles imposent la réalité. « Je savais que mon appareil photo allait parler plus fort que mes mots », écrivait-il. Et de fait, c’est par ce mélange de rudesse et de compassion que son œuvre a trouvé sa portée.

Albert Rieger - Clair de lune Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres du peintre et photographe autrichien Albert Rieger (1834-1905), form...