WK1 |
In girum imus nocte et consumimur igni
dimanche 18 octobre 2009
samedi 17 octobre 2009
(A/U) |
Les mots sont un extrait de l'introduction au Guide de l’exposition universelle de 1869, rédigée par Victor Hugo depuis son exil à Guernesey.
"Au vingtième siècle, il y aura une nation extraordinaire. Cette nation sera grande, ce qui ne l’empêchera pas d’être libre.
Elle sera illustre, riche, pensante, pacifique, cordiale au reste de l’humanité. Elle aura la gravité douce d’une aînée. [.....] Elle considérera le gaspillage du sang humain comme inutile.
Elle aura la suprême justice de la bonté. Elle sera pudique et indignée devant les barbaries.
Aux fleuves frontières succéderont les fleuves artères. Couper un pont sera aussi impossible que couper une tête.
Sous l’influence de cette nation motrice, les incommensurables friches d’Amérique, d’Asie, d’Afrique et d’Australie seront offertes aux émigrations civilisantes; les huit cent mille boeufs, annuellement brûlés pour les peaux dans l’Amérique du Sud, seront mangés; elle fera ce raisonnement que, s’il y a des boeufs d’un côté de l’Atlantique, il y a des bouches qui ont faim de l’autre côté. Sous son impulsion, la longue traînée des misérables envahira magnifiquement les grasses et riches solitudes inconnues; on ira aux Californies ou aux Tasmanies, non pour l’or, trompe-l’oeil et grossier appât d’aujourd’hui, mais pour la terre; les meurt-de-faim et les va-nu-pied, ces frères douloureux et vénérables de nos splendeurs myopes et de nos prospérités égoïstes, auront, en dépit de Malthus, leur table servie sous le même soleil; l’humanité essaimera hors de la cité-mère, devenue étroite, et couvrira de ses ruches les continents; les solutions probables des problèmes qui mûrissent, la locomotion aérienne pondérée et dirigée, le ciel peuplé d’air-navires, aideront à ces dispersions fécondes et verseront de toutes parts la vie sur ce vaste fourmillement des travailleurs; le globe sera la maison de l’homme, et rien n’en sera perdu [.....]; quiconque voudra aura sur un sol vierge un toit, un champ, un bien-être, une richesse, à la seule condition d’élargir à toute la terre l’idée patrie, et de se considérer comme citoyen et laboureur du monde; de sorte que la propriété, ce grand droit humain, cette suprême liberté, cette maîtrise de l’esprit sur la matière, cette souveraineté de l’homme interdite à la bête, loin d’être supprimée, sera démocratisée et universalisée. Il n’y aura plus de ligatures; ni péages aux ponts, ni octrois aux villes, ni douanes aux États, ni isthmes aux océans, ni préjugés aux âmes.
Les initiatives en éveil et en quête feront le même bruit d’ailes que les abeilles.
La nation centrale d’où ce mouvement rayonnera sur tous les continents sera parmi les autres sociétés ce qu’est la ferme modèle parmi les métairies.
Elle sera plus que nation, elle sera civilisation; elle sera mieux que civilisation, elle sera famille. Unité de langue, unité de monnaie, unité de mètre, unité de méridien, unité de code; la circulation fiduciaire à son plus haut degré; le papier-monnaie à coupon faisant un rentier de quiconque a vingt francs dans son gousset; une incalculable plus-value résultant de l’abolition des parasitismes ; plus d’oisiveté l’arme au bras; la gigantesque dépense des guérites supprimée; les quatre milliards que coûtent annuellement les armées permanentes laissés dans la poche des citoyens; les quatre millions de jeunes travailleurs qu’annule honorablement l’uniforme restitués au commerce, à l’agriculture et à l’industrie; partout le fer disparu sous la forme glaive et chaîne et reforgé sous la forme charrue ; la paix, déesse à huit mamelles, majestueusement assise au milieu des hommes; aucune exploitation, ni des petits par les gros, ni des gros par les petits; et partout la dignité de l’utilité de chacun sentie par tous; l’idée de domesticité purgée de l’idée de servitude; l’égalité sortant toute construite de l’instruction gratuite et obligatoire; l’égout remplacé par le drainage; le châtiment remplacé par l’enseignement; la prison transfigurée en école; l’ignorance, qui est la suprême indigence, abolie; l’homme qui ne sait pas lire aussi rare que l’aveugle-né; le "jus contra legem" compris; la politique résorbée par la science, la simplification des antagonismes produisant la simplification des événements eux-mêmes; le côté factice des faits s’éliminant; pour loi, l’incontestable, pour unique sénat, l’institut.
Le gouvernement restreint à cette vigilance considérable, la voirie, laquelle a deux nécessités, circulation et sécurité, l’État n’intervenant jamais que pour offrir gratuitement le patron et l’épure.
Concurrence absolue des à-peu-près en présence du type, marquant l’étiage du progrès. [.....]
L’émeute des intelligences vers l’aurore. L’impatience du bien gourmandant les lenteurs et les timidités.
Toute autre colère disparue. Un peuple fouillant les flancs de la nuit et opérant, au profit du genre humain, une immense extraction de clarté. Voilà quelle sera cette nation.
Cette nation aura pour capitale Paris, et ne s’appellera point la France; elle s’appellera l’Europe.
Elle s’appellera l’Europe au vingtième siècle, et, aux siècles suivants, plus transfigurée encore,
elle s’appellera l’Humanité.
L’Humanité, nation définitive, est dès à présent entrevue par les penseurs, ces contemplateurs des pénombres; mais ce à quoi assiste le dix-neuvième siècle, c’est à la formation de l’Europe.
Vision majestueuse. Il y a dans l’embryogénie des peuples, comme dans celle des êtres, une heure sublime de transparence.
Le mystère consent à se laisser regarder. Au moment où nous sommes, une gestation auguste est visible dans les flancs de la civilisation. L’Europe, une, y germe. [.....]
Le continent fraternel, tel est l’avenir. Qu’on en prenne son parti, cet immense bonheur est inévitable."
"Au vingtième siècle, il y aura une nation extraordinaire. Cette nation sera grande, ce qui ne l’empêchera pas d’être libre.
Elle sera illustre, riche, pensante, pacifique, cordiale au reste de l’humanité. Elle aura la gravité douce d’une aînée. [.....] Elle considérera le gaspillage du sang humain comme inutile.
Elle aura la suprême justice de la bonté. Elle sera pudique et indignée devant les barbaries.
Aux fleuves frontières succéderont les fleuves artères. Couper un pont sera aussi impossible que couper une tête.
Sous l’influence de cette nation motrice, les incommensurables friches d’Amérique, d’Asie, d’Afrique et d’Australie seront offertes aux émigrations civilisantes; les huit cent mille boeufs, annuellement brûlés pour les peaux dans l’Amérique du Sud, seront mangés; elle fera ce raisonnement que, s’il y a des boeufs d’un côté de l’Atlantique, il y a des bouches qui ont faim de l’autre côté. Sous son impulsion, la longue traînée des misérables envahira magnifiquement les grasses et riches solitudes inconnues; on ira aux Californies ou aux Tasmanies, non pour l’or, trompe-l’oeil et grossier appât d’aujourd’hui, mais pour la terre; les meurt-de-faim et les va-nu-pied, ces frères douloureux et vénérables de nos splendeurs myopes et de nos prospérités égoïstes, auront, en dépit de Malthus, leur table servie sous le même soleil; l’humanité essaimera hors de la cité-mère, devenue étroite, et couvrira de ses ruches les continents; les solutions probables des problèmes qui mûrissent, la locomotion aérienne pondérée et dirigée, le ciel peuplé d’air-navires, aideront à ces dispersions fécondes et verseront de toutes parts la vie sur ce vaste fourmillement des travailleurs; le globe sera la maison de l’homme, et rien n’en sera perdu [.....]; quiconque voudra aura sur un sol vierge un toit, un champ, un bien-être, une richesse, à la seule condition d’élargir à toute la terre l’idée patrie, et de se considérer comme citoyen et laboureur du monde; de sorte que la propriété, ce grand droit humain, cette suprême liberté, cette maîtrise de l’esprit sur la matière, cette souveraineté de l’homme interdite à la bête, loin d’être supprimée, sera démocratisée et universalisée. Il n’y aura plus de ligatures; ni péages aux ponts, ni octrois aux villes, ni douanes aux États, ni isthmes aux océans, ni préjugés aux âmes.
Les initiatives en éveil et en quête feront le même bruit d’ailes que les abeilles.
La nation centrale d’où ce mouvement rayonnera sur tous les continents sera parmi les autres sociétés ce qu’est la ferme modèle parmi les métairies.
Elle sera plus que nation, elle sera civilisation; elle sera mieux que civilisation, elle sera famille. Unité de langue, unité de monnaie, unité de mètre, unité de méridien, unité de code; la circulation fiduciaire à son plus haut degré; le papier-monnaie à coupon faisant un rentier de quiconque a vingt francs dans son gousset; une incalculable plus-value résultant de l’abolition des parasitismes ; plus d’oisiveté l’arme au bras; la gigantesque dépense des guérites supprimée; les quatre milliards que coûtent annuellement les armées permanentes laissés dans la poche des citoyens; les quatre millions de jeunes travailleurs qu’annule honorablement l’uniforme restitués au commerce, à l’agriculture et à l’industrie; partout le fer disparu sous la forme glaive et chaîne et reforgé sous la forme charrue ; la paix, déesse à huit mamelles, majestueusement assise au milieu des hommes; aucune exploitation, ni des petits par les gros, ni des gros par les petits; et partout la dignité de l’utilité de chacun sentie par tous; l’idée de domesticité purgée de l’idée de servitude; l’égalité sortant toute construite de l’instruction gratuite et obligatoire; l’égout remplacé par le drainage; le châtiment remplacé par l’enseignement; la prison transfigurée en école; l’ignorance, qui est la suprême indigence, abolie; l’homme qui ne sait pas lire aussi rare que l’aveugle-né; le "jus contra legem" compris; la politique résorbée par la science, la simplification des antagonismes produisant la simplification des événements eux-mêmes; le côté factice des faits s’éliminant; pour loi, l’incontestable, pour unique sénat, l’institut.
Le gouvernement restreint à cette vigilance considérable, la voirie, laquelle a deux nécessités, circulation et sécurité, l’État n’intervenant jamais que pour offrir gratuitement le patron et l’épure.
Concurrence absolue des à-peu-près en présence du type, marquant l’étiage du progrès. [.....]
L’émeute des intelligences vers l’aurore. L’impatience du bien gourmandant les lenteurs et les timidités.
Toute autre colère disparue. Un peuple fouillant les flancs de la nuit et opérant, au profit du genre humain, une immense extraction de clarté. Voilà quelle sera cette nation.
Cette nation aura pour capitale Paris, et ne s’appellera point la France; elle s’appellera l’Europe.
Elle s’appellera l’Europe au vingtième siècle, et, aux siècles suivants, plus transfigurée encore,
elle s’appellera l’Humanité.
L’Humanité, nation définitive, est dès à présent entrevue par les penseurs, ces contemplateurs des pénombres; mais ce à quoi assiste le dix-neuvième siècle, c’est à la formation de l’Europe.
Vision majestueuse. Il y a dans l’embryogénie des peuples, comme dans celle des êtres, une heure sublime de transparence.
Le mystère consent à se laisser regarder. Au moment où nous sommes, une gestation auguste est visible dans les flancs de la civilisation. L’Europe, une, y germe. [.....]
Le continent fraternel, tel est l’avenir. Qu’on en prenne son parti, cet immense bonheur est inévitable."
dimanche 11 octobre 2009
Albert H. Collings - The studio mirror |
A.C. - A reflection (1919) |
Je remarque qu'aucune de ces deux jeunes filles ne tient dans sa main une bougie.
C'est, dit-on et selon une tradition ancienne, ce que devaient faire les jeunes files célibataires sur les douze coups de minuit, pour découvrir dans le miroir tenu devant elles le visage de leur futur mari.
dimanche 4 octobre 2009
Irving Penn - Single poppie (1968) |
Ici, ce sont deux natures mortes que j'ai choisi de présenter, un genre auquel il s'est intéressé dès les années 40, faisant en 1943 la couverture de Vogue avec l'une de ses compositions.
L'une est issu de sa série Flowers, l'autre de sa série Cigarettes, cette dernière sublimée par ses tirages platine-palladium, un procédé par contact mis au point au XIXème siècle et qui consiste à exposer le négatif sur un papier enduit d'une couche de platine et de sels de fer (add.2017 : ICI).
Over the years I must have spent thousands of hours silently brushing on the liquid coatings, preparing each sheet in anticipation of reaching the perfect print.
samedi 3 octobre 2009
Une image et des mots. Picasso a réalisé en 1966 cette planche de 10 aquatintes - que j'aime beaucoup -, pour illustrer un poème de Pierre Reverdy qui est intitulé "Sable mouvant" (1959) et que j'aime beaucoup moins.
Aussi ai-je choisi pour accompagner cette image les mots plus à mon goût d'Aldous Huxley et qui sont tirés de son roman "Île" (1962).
"Tout est sombre parce que vous cherchez trop passionnément, dit Susila. Sombre parce que vous voulez que ce soit clair. Songez à ce que vous me disiez lorsque j'étais enfant. Délicatement, petite, délicatement! Vous devez apprendre à tout faire avec délicatesse. Penser avec délicatesse, agir avec délicatesse, sentir avec délicatesse. Oui, sentir avec délicatesse, même si vous sentez profondément. Laissez venir les choses avec délicatesse et traitez les avec délicatesse. [.....] Débarrassez-vous donc de vos bagages et élancez-vous. Vous êtes au milieu de sables mouvants, qui enserrent vos pieds, qui essaient de vous attirer dans la peur, dans la pitié égoïste et dans le désespoir. C'est pourquoi il faut avancer avec délicatesse."
Aussi ai-je choisi pour accompagner cette image les mots plus à mon goût d'Aldous Huxley et qui sont tirés de son roman "Île" (1962).
"Tout est sombre parce que vous cherchez trop passionnément, dit Susila. Sombre parce que vous voulez que ce soit clair. Songez à ce que vous me disiez lorsque j'étais enfant. Délicatement, petite, délicatement! Vous devez apprendre à tout faire avec délicatesse. Penser avec délicatesse, agir avec délicatesse, sentir avec délicatesse. Oui, sentir avec délicatesse, même si vous sentez profondément. Laissez venir les choses avec délicatesse et traitez les avec délicatesse. [.....] Débarrassez-vous donc de vos bagages et élancez-vous. Vous êtes au milieu de sables mouvants, qui enserrent vos pieds, qui essaient de vous attirer dans la peur, dans la pitié égoïste et dans le désespoir. C'est pourquoi il faut avancer avec délicatesse."
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