In girum imus nocte et consumimur igni

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jeudi 11 décembre 2025

Bill Anton - So it begins
Une image et des mots. L'illustration est de Bill Anton (b.1957), un peintre américain spécialisé dans la représentation du mode de vie et des paysages du Far West. Évidemment, il faut aimer la mythologie cowboy, les grands espaces, les chevaux, les feux de camps, le whisky sans glaçons, et les embrouilles dans les saloons... C'est mon cas.

Pour l'accompagner, quelques mots de Nietzsche : "Qui est parvenu ne serait-ce que dans une certaine mesure à la liberté de la raison, ne peut rien se sentir d'autre sur terre que Voyageur. Pour un voyage toutefois qui ne tend pas vers un but dernier car il n'y en a pas. Mais enfin, il regardera les yeux ouverts à tout ce qui se passe en vérité dans le monde. Aussi ne devra-t-il pas attacher trop fortement son coeur à rien de particulier. Il faut qu'il y ait aussi en lui une part vagabonde dont le plaisir soit dans le changement et le passage." (Humain, trop humain, 1878).

mercredi 10 décembre 2025

Dod Procter - The golden girl (c.1929)
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres de l'artiste anglaise Dod Procter (1890–1972), figure discrète mais essentielle de la Newlyn School et l’une des artistes britanniques les plus reconnues de l’entre-deux-guerres. Née Doris Shaw à Hampstead, Londres, elle s’installe à 15 ans à Newlyn avec sa mère et son frère pour étudier à la Forbes School of Art, où elle partage la maison Myrtle Cottage avec sa cousine Cicely Jesse et l’artiste Tennyson Jesse. C'est là qu'elle rencontre Ernest Procter, futur mari et compagnon d’atelier et de voyages, avec qui elle se fait remarquer parmi les élèves les plus prometteurs de Stanhope Forbes.

Dod Procter - Morning (1926)
En 1910 et 1911, Dod et Ernest se rendent à Paris pour se former à l’Atelier Colarossi.
Là, ils découvrent l’Impressionnisme et le Postimpressionnisme, et rencontrent les oeuvres de Renoir et Cézanne. Le couple se marie en 1912 à l’église Paul Church, poursuivant à deux une pratique où intimité et observation du quotidien se répondent avec délicate discrétion.
Dans les années 1920, Dod Procter s’oriente vers une peinture plus épurée.
Ses modèles – souvent des jeunes femmes, parfois des enfants – apparaissent dans une lumière douce et pleine, sans décor superflu. Il me semble qu’on y devine Renoir dans la douceur des couleurs, tout en conservant quelque chose de très anglais dans la retenue. En 1927, son tableau Morning  - portrait sensuel de la fille d'un pêcheur de Newlyn -, remporte un succès immense à la Royal Academy, au point d’être acquis par la Tate : une jeune femme allongée, les yeux mi-clos, dans un silence presque tangible. C’est sans doute son œuvre la plus célèbre.
M-E. Mark - Irish Travellers, Dublin
Le vide-grenier du dimanche. En cette période de joujoux par milliers, deux clichés de la photographe américaine Mary Ellen Mark (1940-2015). Formée à l’Université de Pennsylvanie, où elle étudie le photojournalisme et l’anthropologie visuelle, elle part très tôt en Inde avec une bourse Fulbright. Ce voyage, puis plusieurs séjours dans les années qui suivent, marquent durablement sa façon d’aborder le documentaire : avec une attention patiente, presque obstinée, pour les existences fragiles ou périphériques.

M-E.M. - New York (1963)
Dans les années 1970 et 1980, elle s’impose aux États-Unis comme l’une des grandes figures de la photographie sociale. Elle travaille pour la presse, accompagne des réalisateurs au cinéma – Milos Forman, Coppola – tout en menant ses propres projets au long cours.. Ses séries les plus fortes naissent souvent de ces immersions prolongées : les adolescentes sans abri de Seattle, les pensionnaires d’institutions psychiatriques, les cirques indiens, les familles en situation de précarité. On peut penser parfois à Diane Arbus pour la frontalité, mais M-E Mark reste moins fascinée par l’étrangeté que par le lien humain, la relation qui se construit au fil du temps. Son oeuvre éclaire des vies dont on détourne souvent les yeux.
F. Porter - Interior with roses (1955)
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres du peintre américain Fairfield Porter (190è-1975), figure discrète mais essentielle de la peinture figurative du XXᵉ siècle. Né dans une famille d’artistes et d’écrivains, il étudie à Harvard puis à l’Art Students League de New York, avant de s’installer entre Southampton et l’île de Great Spruce Head, dans le Maine. Porter forge peu à peu une vision très personnelle – à la croisée du réalisme et de l’abstraction gestuelle chère à l'école de New York. Influencé par Bonnard et Vuillard autant que par ses amis Willem et Elaine de Kooning, il reste volontairement figuratif dans une époque dominée par l’expressionnisme abstrait. Ses tableaux montrent ce qu’il connaît le mieux : sa maison, sa famille, ses amis, les paysages du littoral.
F.P. - Clothesline (1958)

Porter peint sans effet des scènes où la lumière adoucit tout – une table, une fenêtre ouverte, un coin de jardin. Rien n’est spectaculaire ; tout est apaisé, et paraît vu avec gratitude. Ce que j’aime dans sa peinture, c’est ce mélange d’attention et de détachement : il regarde le quotidien sans le charger de symboles, mais il en révèle la paisible beauté.
« Fais que tout soit plus beau », disait Renoir à Bonnard ; Porter semble avoir pris ce conseil à la lettre.

dimanche 7 décembre 2025

M.P - The Perry family; London (2012)
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres du photographe anglais Martin Parr (1952-2025), déjà présenté en mai 2020. Il nous a quittés hier, en laissant derrière lui un regard qui a transformé la photographie documentaire anglaise.
Parr a su imposer la couleur dans un univers encore largement dominé par le noir et blanc, mais ce n’est pas seulement la couleur elle-même qui frappe dans ses photographies ; c’est la façon dont elle révèle le quotidien, les petites contradictions, les gestes triviaux.

M.P. - Liverpool, England (1984)
Ses sujets peuvent paraître anecdotiques mais ils deviennent des terrains d’observation, qu’il s’agisse de vacances populaires, de fêtes locales ou de scènes de consommation banales. Ses images nous donnent à voir de petits fragments de vie où l’on devine des histoires, des habitudes, des comportements parfois amusants, parfois incongrus... C’est ce que j’apprécie beaucoup chez lui, cet équilibre subtil entre l’ironie et la curiosité bienveillante, comme avec ce portrait « so British » des artistes contemporains Philippa et Grayson Perry avec leur fille Florence.
TU1


samedi 6 décembre 2025

Phil Greenwood - Leaf fall (1979)

Une image et des mots. Une oeuvre du graveur et aquafortiste gallois Philip Greenwood (b.1943).
Et un poème de Nâzim Hikmet (1901-1963).

J'ai lu cinquante mille poèmes et romans
qui parlaient de la chute des feuilles en automne
j'ai vu cinquante mille films
sur la chute des feuilles en automne

j'ai vu cinquante mille fois tomber
les feuilles en automne
les feuilles qui tombent, qui traînent, qui
pourrissent sur le sol

cinquante mille fois j'ai entendu leur crissement sans vie
sous les semelles de mes souliers
entre mes paumes et au bout de mes doigts
et pourtant la chute des feuilles me serre toujours le cœur

surtout les feuilles qui tombent sur les boulevards
surtout s'il s'agit de feuilles de marronniers
surtout si des enfants passent par là
surtout s'il fait soleil

surtout si j'ai reçu ce jour-là une bonne nouvelle
me parlant d'amitié
surtout si mon cœur ne me fait pas trop mal
surtout si je crois que m'aime ma bien-aimée

surtout si ce jour-là je suis d'accord
avec les autres et avec moi-même
rencontrer la chute des feuilles en automne me serre le cœur
surtout celles qui tombent sur les boulevards
surtout s'il s'agit de feuilles de marronniers.

Bill Anton - So it begins Une image et des mots. L'illustration est de Bill Anton (b.1957), un peintre américain spécialisé dans la repr...