In girum imus nocte et consumimur igni

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dimanche 11 mai 2025

Ben Enwonwu - Anyanwu (1954)
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres de l'artiste nigérian Ben Enwonwu (1917-1994), figure tutélaire de l'art moderne africain. Il a su incarner, avec cette seule silhouette d'Anyanwu, l'ambition d'une modernité africaine, et à ce titre il fut longtemps présenté comme "l'artiste nigérian par excellence", reconnu à la fois par l'académie coloniale et par l'avant-garde post-coloniale.
Formé au Nigeria auprès de son père, sculpteur igbo, puis à Londres à la Slade School of Fine Art, il est l’un des premiers artistes africains à s’imposer au plan international sans renier ce qu’il est : ni un “native artist” folklorisé, ni un suiveur du canon occidental. Ben Enwonwu ne s'excuse ni de ses racines ni de ses ambitions, et emprunte à l’un et à l’autre pour mieux inventer.

Ben Enwonwu - Atlas
De retour au Nigeria dans les années 1950, il devient conseiller artistique pour le gouvernement fédéral. C’est à ce titre qu’il réalise en 1954 l’une de ses œuvres majeures : Anyanwu (“L’Éveil”), une sculpture installée devant le Musée national de Lagos : une figure féminine dressée, les bras légèrement écartés comme pour s'élever, à la fois symbole de la maternité, de l’énergie vitale et de l’indépendance.
"Mon but était de symboliser notre nation montante. J’ai essayé de combiner les matériaux, l’artisanat et la tradition, pour exprimer une conception basée sur la féminité – la femme, la mère et nourricière de l’homme. Dans notre nation montante, je vois les forces incarnées dans la féminité ; le début, et ensuite, le développement et l’épanouissement en stature la plus complète d’une nation – un peuple ! Cette sculpture est spirituelle dans sa conception, rythmique dans son mouvement et tridimensionnelle dans son cadre architectural – ces qualités sont caractéristiques des sculptures de mes ancêtres".
Sa manière est immédiatement identifiable : silhouettes élancées, goût du mouvement, formes inspirées des danses rituelles ou des mascarades Igbo. Chez Anyanwu, cette élongation n’est pas une simple stylisation, elle exprime une aspiration : la forme tendue vers le haut traduit une tension politique, existentielle, collective. Avec cette allégorie féminine de la nation, Ben Enwonwu a donné corps à tout un peuple en devenir.

mardi 6 mai 2025

C.Ebbets - Lunch atop a skyscraper (1932)

Une image et des mots. Pour aller avec ce cliché célébrissime, attribué à Charles Ebbets, voici quelques mots de Roger Caillois, un extrait de L'incertitude qui vient des rêves (1956).

J'ai cédé à un souci personnel constant, presque exclusif, invincible [.....]. Je veux parler d'un attrait ininterrompu pour les forces d'instinct, de vertige, du goût d'en définir la nature, d'en démonter autant que possible la sorcellerie, d'en apprécier exactement les pouvoirs ; de la décision, enfin, de maintenir sur eux, contre eux, la primauté de l'intelligence, de la volonté, parce que, de ces facultés seules naît pour l'homme une chance de liberté et de création.

dimanche 4 mai 2025

Jean Béraud - Un Figaro de rêve
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres du peintre français Jean Béraud (1849-1935), célèbre pour ses scènes de la vie parisienne sous la Belle Époque. Né à Saint-Pétersbourg, il s'installe à Paris après la mort de son père et étudie à l'École des Beaux-Arts sous la direction de Léon Bonnat.

J.B. - Au café, dit L'absinthe (1909)

Dans un style qui oscille entre réalisme et impressionnisme, il restitue avec une spontanéité et une minutie quasi-documentaires l’essence du Paris de la fin du XIXe siècle, à la manière d'un photographe de rue aujourd’hui : ses rues animées, ses cafés et ses buveurs d'absinthe, ses théâtres et ses élégantes figures mondaines..., les compositions de Béraud foisonnent de mouvement, de regards échangés, de petites anecdotes visuelles qui donnent l’impression d’un moment volé sur le vif. En ce sens, il pourrait sans doute être vu comme un précurseur du regard photographique appliqué à la peinture.
On compare souvent son travail à celui de Degas ou du flamboyant Giovanni Boldini, mais Béraud a encore quelque chose en plus : une touche narrative et un brin d’ironie qui rendent ses scènes plus vivantes, presque cinématographiques. Là où Degas capte l’instant et Boldini magnifie l’élégance, Béraud raconte des histoires, avec ce regard un peu amusé sur le Paris de son époque qui le rend si singulier.

samedi 3 mai 2025

Lectionnaire d'Henri III
Une image et des mots. En ce surlendemain de Fête du travail...
Ce que veut dire la parabole des ouvriers de la 11ème heure (Matthieu, 20), magnifiquement illustrée ici dans le lectionnaire d'Henri III (1017-1056), c'est que pour le Christ la récompense n'est pas proportionnelle à l'effort fourni, ("les derniers seront premiers, les premiers seront derniers").

Mais cette image peut aussi se lire comme une simple illustration narrative (et laïque) du travail et de sa rémunération. La scène du haut est une scène de travail, avec des ouvriers qui taillent la vigne et qui la sarclent; la scène du bas est celle du travail accompli et de la rémunération.
LR1

ICI

dimanche 27 avril 2025

Roger Shall - Le Normandie (1935)
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés du photographe français Roger Schall (1904-1995), déjà présenté le 11 mai 2008 avec Le balayeur de la rue Visconti et Le marché au timbres de l'avenue Matignon.
Voici donc deux nouvelles images de Roger Schall, prises la même année et que je n’ai pu m’empêcher de rapprocher : d’un côté, le Normandie, paquebot emblématique de l’entre-deux-guerres, dont Schall photographia le voyage inaugural aux côtés de Blaise Cendrars (voir ma première publication) ; de l’autre, une vue du Normandy, restaurant parisien désormais disparu.

R. Schall - Le Normandy (1935)



Deux lieux de passage, deux mises en scène du luxe à la française - flottant pour l’un, bien ancré rive droite pour l’autre -, mais aussi deux façons de raconter une époque par ses façades, ses volumes, ses reflets. Deux lieux très différents, mais une même manière de faire apparaître ce qui se joue derrière les apparences. Ce que j’aime chez Roger Schall, c’est ça : cette capacité à capter l’élégance sans la figer, à enregistrer une présence humaine même là où elle semble absente. Le photographe de mode qu'il a été laisse parfois entrevoir, à la marge, un témoin plus discret, attentif aux traces, à ce que les lieux racontent à voix basse.

Ben Enwonwu - Anyanwu (1954) Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres de l'artiste nigérian Ben Enwonwu (1917-1994), figure tutélaire d...