Frederick van Heerden - 14 girafes (2013) |
Pour ce qu'alors je désirai vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensai qu'il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrai imaginer le moindre doute, afin de voir s'il ne restait point après cela, quelque chose en ma créance qui fut entièrement indubitable.
Ainsi à cause que nos sens nous trompent quelque fois, je voulus supposer qu'il n'y avait aucune autre chose qui fût telle qu'ils nous la font imaginer.
Et parce qu'il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes, jugeant que j'étais sujet à faillir autant qu'aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavant comme démonstrations.
Et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées que nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu'il n'y en ait aucune pour lors qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui ne m'étaient jamais entrées dans l'esprit n'étaient non plus vraies que les illusions de mes songes.
Descartes, Discours de méthode, IVe partie (1637).
Pourquoi ai-je pensé, en regardant ce beau cliché du photographe sud-africain Frederick van Heerden, à ce texte fondateur de Descartes qui marquera, avec la mise du monde à l'épreuve du doute, l'avènement de la philosophie moderne? Parce que comme vous, à la lecture du titre de cette photographie, j'ai tout de même compté les girafes.
Oui bien sûr... Ce besoin de vérifier n'a que peu à voir avec le doute philosophique, et d'avoir pensé à ce texte en recomptant des girafes n'est que le fruit d'une des ces associations d'idées que la psychanalyse nous dit, quand on leur lâche la bride, révélatrices de nos conflits inconscients.
Mais, aussitôt après, continue Descartes, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose. Ouf !