In girum imus nocte et consumimur igni

In girum imus nocte et consumimur igni
eiπ + 1 = 0

dimanche 31 mars 2013

J.R. - Ivor Brock walking up West Lane (1974)
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés du photographe anglais James Ravilious (1939-1999), fils des talentueux artistes peintres Eric Ravilious et Tirzah Garwood.
Il vient à la photographie après avoir vu une exposition consacrée à Henri Cartier-Bresson, et s’installe au début des années 1970 dans le nord du Devon où il entreprend ce qui deviendra l’un des plus ambitieux témoignages photographiques de la campagne anglaise. 

J. Ravilious
Alf Pugsley returning a lamb to its mother
(1982)
Pendant près de vingt ans il en documente la vie rurale, accumulant 80.000 clichés noir et blanc sur le quotidien des habitants de la région de Beaford, dont on peut, ICI, consulter les formidables archives. Il arpente les fermes, les chemins, les hameaux, photographiant la vie quotidienne, les visages, les gestes, les saisons. What I record is vanishing, disait-il : conscient de voir disparaître un mode de vie séculaire il en saisit la dignité tranquille, entre chronique sensible et travail d’archiviste. L'oeuvre de James Ravilious compose un portrait à la fois intime et universel d’un monde façonné par le temps et le labeur.
RB1

ICI

dimanche 24 mars 2013

A. Ancher - Fille dans la cuisine (1883)
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres de la danoise Anna Ancher (1859-1935), seule femme du groupe des peintres de Skagen, cette colonie d’artistes scandinaves venue s'installer dans le dernier tiers du 19ème et jusqu'au tournant du siècle dans ce village de pêcheurs à l’extrême nord du Jutland danois, attirée par la lumière si particulière de cette côte balayée par les vents.
Elle y trouve l’essentiel de ses sujets : intérieurs simples, gestes quotidiens, figures de femmes et d’enfants baignés d’une lumière douce mais intense.
Anna Ancher
Rayon de soleil dans la pièce bleue
(1891)

Formée à Copenhague et à Paris, elle combine l’observation réaliste avec une sensibilité aux effets de couleur et de lumière qui doit autant à l’impressionnisme qu’à la tradition nordique. Il y a dans ses toiles un sentiment d’intimité douce et presque méditative ; c'est un trait de la peinture danoise de cette époque et qui me plait énormément.
À noter que deux écrivains danois, Georg Brandes et Henrik Pontoppidan (Nobel de littérature en 1917) et le compositeur suédois Hugo Alvén faisaient également partie du groupe de Skagen.

samedi 23 mars 2013

Anon. - Peter Iredale at Clatsop Spit, Ore. (1906)
Une image et des mots. Une photo de l'épave du quatre-mâts Peter Iredale, échoué sur la côte de l'Orégon en 1906.
Pour l'accompagner, un extrait de Celui qui trouve un fer à cheval du poète russe Ossip Mandelstam (1892-1938).

Tournés vers la forêt, nous disons :
Voici la forêt des navires et des mâts,
et les pins roses
libres jusqu’à leur faîte de l’épineux fardeau.

À eux de grincer dans la tempête,
pins solitaires,
dans l’air fou de colère, vierge de forêts ;
sous le talon salé du vent, le fil rivé au pont dansant
du navire gardera son aplomb.

Et le navigateur,
dans sa soif effrénée d’espace,
traînant dans de moites fondrières le fragile instrument
du géomètre,
compare à l’attraction de la matrice terrestre
la rugueuse surface des océans.

Et nous,
humant le parfum des larmes résineuses qui suintent
à travers le bordage du navire,
admirant les planches
clouées, ajustées en cloison
– Ce n’est pas le paisible charpentier de Bethléem qui les posa,
mais un autre,
le père des voyages, l’ami du marin –
Nous disons :
Ils furent eux aussi sur la terre
incommode comme un dos d’âne,
leur cime faisant oublier les racines,
ils se dressaient sur la chaîne fameuse,
bruissant sous l’averse d’eau douce,
proposant vainement à la nue d’échanger leur noble fardeau
contre une pincée de sel.

Par où commencer ?
Tout craque et ploie.
L’air frémit de comparaisons,
pas un mot ne vaut mieux que l’autre,
la terre gronde sous la métaphore,
et de légères carrioles
dans l’attelage criard d’envols d’oiseaux tendus sous l’effort
se brisent en éclat.
RF1

ICI

dimanche 17 mars 2013

Koshiro Onchi - Le miroir (1930)
 Le vide-grenier du dimanche. Deux œuvres que j’aime beaucoup du peintre japonais Koshiro Onchi (1891-1955) - il s’agit ici de deux pièces figuratives, car, pour ma part, je ne l’ai jamais vraiment suivi dans sa voie plus abstraite. Considéré comme le père du sosaku hanga, il s'exprime également par la photographie et par la poésie, notamment à travers le magazine Tsukubue qu'il publie à partir de 1913.

K.O. - La mer (1937)
Né à Tokyo dans une époque en pleine mutation, Onchi mêle avec finesse les traditions japonaises - calligraphie, estampe, poésie - et des influences occidentales. J'aime énormément - je me répète - ces deux pièces figuratives qui, tout en restant proches du réel, me paraissent nous inviter à une méditation calme, presque mélancolique, sur le temps qui passe et la beauté discrète du monde.

FI1
ICI

dimanche 10 mars 2013

D. Lange - Migrant mother (1936)

Le vide-grenier du dimanche. Au lendemain de la Journée internationale des droits de la femme, deux clichés de la photographe américaine Dorothea Lange (1895-1965), dont le nom est aujourd’hui synonyme de photographie documentaire engagée. Ces images illustrent parfaitement le travail qu’elle a mené au sein de la FSA (Farm Security Administration), déjà évoquée ici à plusieurs reprises, la première fois en décembre 2011 à propos de Russell Lee.

D.L. - Young migratory mother
(1940)
Avec un regard à la fois empathique et rigoureux, elle a abondamment documenté la situation des migrants durant les "bitter years" (les années amères) de la Grande Dépression, conséquence du krach boursier de 1929.
La première, le célèbre cliché de Florence Owens Thompson avec ses trois enfants, est devenue une icône universelle.
Au même titre que White Angel breadline (1933), photographie d’une soupe populaire, le regard chargé d’anxiété de cette mère migrante parle d’un temps difficile et saisit avec force cette page d’histoire. Lange disait : « La photographie aide à voir ». Son œuvre continue de nous inviter à regarder, avec humanité et attention, ce qui parfois nous échappe - et ne le devrait pas.

RS1

ICI

dimanche 3 mars 2013

J. Collier - Marian Collier (1883)

Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres du peintre préraphaélite anglais John Collier (1850-1934), déjà présenté en août 2010.
Figure éminente mais parfois oubliée de l’époque victorienne, Il s’inscrit dans la seconde génération des préraphaélites, tout en conservant un certain classicisme hérité de sa formation académique.

J.C. - The Sleeping beauty (1921)
Ce double héritage se lit parfaitement dans le contraste entre ces deux toiles : le portrait de son épouse, Marian Huxley, d’une sobriété presque austère, et La Belle au bois dormant, avec une somptueuse mise en scène qui déploie tout l’imaginaire et l’éclat chromatique du préraphaélisme.

samedi 2 mars 2013

Victoria Ivanova - Megalomania
Une image et des mots. De combien de sentiments, d'émotions, de combien de travers ou de vertus ce cliché de l'artiste russe Victoria "Vika" Ivanova - qui parmi ses modèles cite entre autres Vlad Artazov (voir août 2009) -, pourrait-il être la métaphore ?
"Je voudrais enserrer le monde dans un réseau de charité", disait Frédéric Ozanam (1813-1853), prof de littérature étrangère à la Sorbonne et fondateur de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, une organisation internationale de bienfaisance aujourd'hui présente dans 140 pays.

En 1836, il écrit ceci : "La question qui agite aujourd'hui le monde autour de nous n'est ni une question de personnes, ni une question de formes politiques, c'est une question sociale. C'est de savoir qui l'emportera de l'esprit d'égoïsme ou de l'esprit de sacrifice ; si la société ne sera qu'une grande exploitation au profit des plus forts ou une consécration de chacun au service de tous. Il y a beaucoup d'hommes qui ont trop et qui veulent avoir encore ; il y en a beaucoup plus d'autres qui n'ont rien et qui veulent prendre si on ne leur donne rien.
Entre ces deux classes d'hommes une lutte se prépare, et elle menace d'être terrible : d'un côté la puissance de l'or, de l'autre la puissance du désespoir."

Ozanam, préoccupé par les inégalités sociales de son époque, anticipe les tensions entre classes sociales, qu'il perçoit comme une menace pour la cohésion de la société.
Mais sa vision diffère profondément de celle qui sera développée par Karl Marx dans sa théorie de la lutte des classes. Animé par sa foi chrétienne, il appelle à la solidarité, à la charité et à une réconciliation entre les classes, quand Marx, qui s'appuie sur une analyse matérialiste, théorise un conflit irréconciliable entre bourgeoisie et prolétariat.
Cette réflexion d’Ozanam s’inscrit également dans un contexte intellectuel marqué par des débats sur les changements sociaux et politiques de l’après-Révolution française, auxquels des historiens comme François Guizot et Auguste Mignet apportaient leurs propres analyses, institutionnelles et historiques. En effet, là où ces derniers se concentraient sur l’évolution des institutions et des régimes, Ozanam abordait la question sous l’angle moral et spirituel, en insistant sur la responsabilité individuelle et collective des privilégiés face aux plus démunis.
Plutôt que de simplement anticiper la lutte des classes, Ozanam proposait une alternative fondée sur le sacrifice et l’entraide ; dans un monde marqué par des inégalités croissantes, son approche chrétienne des enjeux sociaux n'est-elle plus pertinente aujourd’hui ?

RP1 ICI