dimanche 25 décembre 2016

Miron Zownir - NYC (1986)
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés du photographe allemand Miron Zownir (b.1953), figure radicale de la photographie documentaire contemporaine. Autodidacte, il commence à photographier dans le Berlin punk des années 1970, avant de s'installer aux États-Unis en 1980, où il documente pendant quinze ans les marges urbaines de New York, Los Angeles et Pittsburgh.
Il est le témoin d'un monde en déréliction, celui de la zone, des toxicomanes, des désaxés, le monde violent et désespéré de tous les inadaptés - perdants magnifiques ou non -, le "peuple de l'abîme" qui survit au marges ignorées de nos sociétés.

M. Zownir - Los Angeles (1986)
Pour parler de son travail, il cite une phrase de Kafka rapportée par Max Brod dans sa postface de la première édition du Château.
Quand on a le courage de regarder les choses continûment, sans fermer les yeux pour ainsi dire, on en voit beaucoup ; mais qu'on se relâche, qu'on ferme une seule fois les paupières, et tout se perd aussitôt dans le noir.
Ce que Miron Zownir photographie dans les cloaques des grandes métropoles - sans filtre ni pathos, mais avec une empathie brute -, ça ressemble à l'enfer. Joyeux Noël !

samedi 24 décembre 2016

James Flaxman - The desecration of Adam (2015)
Une image et des mots. L'oeuvre est une toile de l'artiste australien James Flaxman (b.1978)
L'existence de toute chose dérive de la beauté de Dieu, disait Thomas d'Aquin. Voici pour accompagner cette oeuvre quelques mots extraits du Siracide :

Bénissez le Seigneur pour toutes ses oeuvres. Magnifiez son nom, publiez ses louanges, par vos chants, sur vos cithares, et vous direz à sa louange : Qu'elles sont magnifiques, toutes les oeuvres du Seigneur ! [....] Les oeuvres du Seigneur sont toutes bonnes, belles, Il donne sa faveur à qui en a besoin, à l'heure propice. Il ne faut pas dire "Ceci est moins bon que cela !". Car tout en son temps sera reconnu beau et bon. Ecclésiastique 39, 15-16. 33-34.

dimanche 18 décembre 2016

Adolf Dehn - Central Park in winter (1965)
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres de l'artiste - aquarelliste et lithographe - américain Adolf Dehn (1895-1968). 
Il commence ses études artistiques en 1917 à la Minneapolis School of Art, où il rencontre l'illustratrice Wanda Gág qui partagera sa vie pendant plusieurs années et avec qui il s'inscrira ensuite à l' Art Students League de New York.
A.D. - Red birds (1959)

Appelé en 1918 à servir sous les drapeaux pour la Première Guerre mondiale, il se déclare objecteur de conscience et se lie, en 1920 et 1921, à la gauche newyorkaise.
En 1921 il part pour L'Europe, à Paris et à Vienne, où il tissera des liens avec nombre d'intellectuels - certains comme lui expatriés -, comme Gertrude Stein, Edward E. Cummings, Josephine Baker, Leo Stein, Kurt Weill... "Life in Paris is simply glorious!"
Il retourne en 1929 dans une Amérique frappée par la Grande Dépression et traverse quelques années difficiles, mettant même son art au service de la WPA pour assurer l'ordinaire.
Ce n'est qu'à partir de 1936 qu'il commence à assoir une carrière, nationale et internationale, qui le mènera à être considéré comme un des grands maîtres américains de la lithographie et, plus largement, comme une figure majeure du courant régionaliste et du réalisme social, au même titre que Grant Wood ou Thomas Hart Benton, lesquels feront tous deux l'objet de futures publications.

dimanche 11 décembre 2016

W. Bishof - Anjali Hora, Bombay (1951)

Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés du photographe suisse Werner Bishof (1916-1954), déjà présenté ici en juin 2009, et devenu après la Seconde Guerre mondiale - avec ses reportages sur l'Europe dévastée - une voix majeure du photojournalisme. En 1949, il devient l’un des premiers nouveaux membres de l’agence Magnum aux côtés de Cartier-Bresson, Capa et autres grands noms... ; ses missions le mènent en Inde (où il documente la famine du Bihar pour Life), au Japon, en Corée, en Indochine pour Paris-Match, aux Amériques... Toujours en quête de sens, il écrivait :
« Je me suis senti poussé à partir à l’aventure et à explorer le vrai visage du monde. Mener une vie confortable et abondante avait aveuglé beaucoup d’entre nous sur les immenses difficultés qui existaient au-delà de nos frontières. »

W.B. - État d'Hidalgo, Mexique (1954)
Werner Bishof a réalisé plusieurs très beaux portraits d'Anjali Hora, ici âgée de 23 ans. 
Anjali était une danseuse de Bharat Natyam, une danse tamoule qui est une des plus anciennes danses traditionnelles en Inde. Vivant dans la pauvreté, elle s'occupait de sa mère aveugle matin et soir avant de s'adonner à sa discipline.
Becoming famous and popular is not very important but to preserve the art in its true and chaste form is most essential...

dimanche 4 décembre 2016

André Lhote - Portrait de dame (1927)

Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres du graveur, illustrateur et peintre bordelais André Lhote (1885-1962), formé à l’École des Beaux-Arts de la capitale girondine. On lui doit notamment les peintures murales de la Faculté de Médecine de Bordeaux. À partir de 1912, Lhote se rallie très tôt au mouvement cubiste, sans toutefois le suivre jusque dans l’abstraction : plutôt que de rompre avec la tradition, il cherche à inscrire la modernité dans sa continuité. Le choix de ses sujets et la construction de ses compositions restent ainsi liés au classicisme. "On ne voit bien que lorsqu'on est ébloui."
A.L. - Toits de Bordeaux sous la neige
(1909)

Théoricien influent, il est l’auteur de plusieurs traités - Traité du paysage et Traité de la figure - et fonde en 1922 sa propre académie à Montparnasse, où il forme de nombreux artistes venus de toute l’Europe, parmi lesquels Tamara de Lempicka ou le futur photographe Henri Cartier-Bresson.
S’il a très tôt adopté le langage cubiste, André Lhote est resté un « cubiste modéré », refusant la déconstruction radicale pour conserver dans ses toiles une lisibilité et une harmonie héritées de la tradition. « L’art n’est pas la copie de la nature, mais l’interprétation de ses lois », affirmait-il. Derrière cette idée qui irrigue toute son œuvre, ses tableaux dégagent une clarté qui doit autant à Cézanne qu’aux fresques de la Renaissance.

samedi 3 décembre 2016

Les aveugles et l'éléphant

Une image et des mots. Où il sera encore question d'éléphant...  (cf. chronique du 22/10)
Cette gravure anonyme et non datée est une illustration de la fable indienne des aveugles et de l'éléphant : six aveugles devaient décrire l'aspect de l'animal en le touchant en différentes parties de son corps.
La parabole est limpide : elle nous enseigne simplement que chaque homme a tendance à prendre pour une vérité absolue la perception forcément limitée et subjective qu'il a de la réalité.
Pour accompagner cette image, voici ce que le grand Vialatte, pour qui "l'éléphant est considérable", nous dit du pachyderme. Ce texte fait partie d'une compilation publiée en 2002 par l'éditeur Arlea dans un beau Bestiaire illustré par Honoré.

L'éléphant date de la plus haute antiquité. Du moins sous forme de mammouth. Il pataugeait alors dans les glaciers d'Auvergne. Ou de Sibérie, pareil à un prophète biblique.
Depuis, le mammouth a perdu ses poils. Il vit tout nu dans les forêts équatoriales ou à Paris (au zoo de Vincennes, et dans le Ve arrondissement). Il est indispensable à l'homme : physiquement, moralement et de toutes les façons. Comment vivrait sans lui l'éléphantologiste ? Comment l'homme saurait-il, sans lui, qu'il n'a pas de trompe? (et sans le chameau, qu'il n'a pas de bosses?) Telle est l'utilité des monstres. Ils indiquent à l'homme ses limites, ils lui permettent de se définir, de connaître son contour et son ombre chinoise. Sans eux l'homme serait flou : une vapeur, une fumée, un gaz toxique.
L'éléphant se compose en gros d'une trompe, qui lui sert à se doucher, d'ivoire, dont on fait des statuettes, et de quatre pieds, dont on tire des porte-parapluie. Dieu l'a fait gris, dit Bernardin de Saint-Pierre, pour qu'on ne le confonde pas avec la fraise des bois.