dimanche 30 mars 2014

S.Weiss - Enfants à la fontaine (1954)
Le vide-grenier du dimanche. Deux clichés de la photographe suisse naturalisée française Sabine Weiss (b.1924), figure majeure de la photographie humaniste aux côtés de Boubat, Doisneau et Ronis. 
Elle achète son premier appareil à l'âge de 11 ans, avec son argent de poche, et apprendra plus tard la technique photographique avec le fils de Frédéric Boissonnas, photographe de studio à Genève.
Sabine Weiss récuse le statut d'artiste ; témoigner plutôt que créer, conserver l'éphémère, rendre compte de la condition humaine dans sa vie quotidienne et ses moments universels : scènes de rues, enfants, croyances, solitudes, baisers. fugacité des émotions...

S.W. - Montmartre, Paris (1953)
J'ai toujours été captivée par la sensibilité des gens. Mes photos expriment un certain amour que j'ai pour la vie. Ce qui m'intéresse, c'est l'homme, et de montrer ce qu'il a en lui et le faire apparaître dans une photo très simple.
Lumière, geste, regard, mouvement, silence, repos, rigueur, détente, je voudrais tout incorporer dans cet instant pour que s'exprime avec un minimum de moyens l'essentiel de l'homme.
En 1955, Edward Steichen choisit trois de ses photographies pour sa mythique exposition The Family of Man au MoMA.

dimanche 23 mars 2014

J-B. Santerre - Suzanne au bain
(1704)
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres du "Corrège français", le très réputé - en son temps - portraitiste Jean-Baptiste Santerre (1651-1717), actif à la charnière du règne de Louis XIV et de la Régence, et connu pour son art de fondre le portrait, la peinture d’histoire et la scène de genre dans une même élégance. Élève de Bon Boullogne, il entre à l’Académie royale en 1704 avec un Suzanne au bain resté célèbre, où le nu féminin emprunte autant aux canons classiques qu’à une sensualité plus intime, presque galante.

J-B.S - Jeune fille lisant une lettre
à la bougie (c.1700)
C'est cette interprétation de l'épisode biblique de Suzanne et ses vieillards libidineux - dont je publierai un jour prochain la vision d'Albrecht Altdorfer - que j'ai choisi de présenter aujourd'hui (ci-dessus).
Sans doute son tableau le plus connu... mais je lui préfère le second : une jeune fille lisant une lettre à la lueur d'une bougie. À sa mise, on imagine qu’elle s’est relevée, une fois la maison endormie, pour la lire et la relire. Elle sourit : ce sont des mots d’amour.

samedi 22 mars 2014

E.Elisofon - Manhattan switchboard operators (1962)
Une image et des mots. Le cliché est du photographe documentaire américain Eliot Elisophon (1911-1973). Les mots sont extraits d'une des chroniques écrites par Alexandre Vialatte en 1938, alors qu'il enseignait le français au lycée d'Héliopolis, et que Le Dilettante a eu la bonne idée de réunir dans un petit volume intitulé Au coin du désert (2002).

[.....] Au bout, la culbute. Et après ça, où ira-t-on ? Nous arriverons à un âge où l'humanité aura tant parlé qu'elle n'aura plus envie que de se taire. On verra paraître des livres blancs. Il y aura des concours de silence organisés par des journaux monosyllabiques. Des genres du silence : des grands genres, des petits genres, des silences plats et des silences de virtuose. Des arts poétiques du mutisme, des silences en vers et des silences en prose. On dira tout par la façon dont on se taira.

dimanche 16 mars 2014

Martin Driscoll - The tall tale
Le vide-grenier du dimanche. En cette veille de Saint-Patrick, plutôt que de revisiter les œuvres du célébrissime Francis Bacon, voici deux tableaux plus modestes - au sens propre comme au figuré - mais très attachants, signés Martin Driscoll (1937-2011), peintre de la vie quotidienne irlandaise.
Martin Driscoll - Road dancing

Né à New York d’une mère originaire d’Irlande, il entre, après son service militaire, à l’Art Students League, où il suit l’enseignement très recherché de l’influent Frank J. Reilly. Pourtant, il ne songe pas à devenir artiste professionnel : I went to art school not thinking of becoming a commercial artist. I wanted to learn something I would love all my life.
Il mènera ainsi une longue carrière à Pan Am Airlines, interrompant même totalement sa pratique artistique entre 1978 et 1996.
Sa peinture est profondément enracinée dans la vie rurale irlandaise : fêtes de village, conversations au pub, mise à l’eau des bateaux de pêche, conduite du bétail, tonte des moutons… Comme il le résumait lui-même : I wanted to stop time and change. I got a book of black and white photos on life there between the 1860s and 1940s. It resonates with me, I'm tied to memories and roots. All of my paintings are a prayer, a song, a laugh and tell old tales. 
On peut - c’est mon cas - préférer certaines de ses études, pleines de spontanéité, à ses toiles plus abouties.

dimanche 9 mars 2014

T.M. - Tehuantepec, Mexique (1929)
Le vide-grenier du dimanche. Au lendemain de la Journée internationale des droits de la femme, deux clichés de la photographe et militante italienne Tina Modotti (1896-1942), dont le travail et la vie ont été constamment liés à son engagement pour la justice sociale et les causes politiques.
Née à Udine dans une famille modeste, elle connait l'usine à 12 ans ; c'est son oncle qui l'initie à la photographie, et son père à la politique.
En 1913, elle le rejoint aux États-Unis où celui-ci avait émigré cinq ans plus tôt pour y retrouver son frère.
En Californie, la belle Tina Modotti trouve un emploi de mannequin de cabine, rencontre son mari le peintre et poète Roubaix de l'Abrie Richey et entreprend une petite carrière d'actrice, d'abord au théâtre, puis à Hollywood où elle obtient le premier rôle dans deux films muets.
T.M. - Mains d'ouvrier, Mexique (1927)

En 1921, elle rencontre à Los Angeles Edward Weston (voir janvier 2012 et février 2014), un des cofondateurs du Groupe f/64, dont elle devient le modèle, la maîtresse, et finalement l'assistante. Viendront ensuite ses premiers voyages au Mexique, en pleine effervescence post-révolutionnaire, où elle s'installe avec Weston et où elle va faire la connaissance des muralistes, comme Diego Rivera et José Clemente Orozco.
C'est là que va s'affirmer un engagement politique qui ne faiblira jamais et au service duquel elle va mettre son art. Avec le Secours rouge international, elle sera en Espagne lors de la guerre civile, en Pologne, en Hongrie, ou encore en Autriche lors du soulèvement contre la dictature de Dolfuss.
Tina Modotti, hermana, no duermes, no no duermes :
tal vez tu corazón oye crecer la rosa de ayer,
la última rosa, la nueva rosa.
Descanca dulcemente, hermana.
Pablo Neruda.

dimanche 2 mars 2014

A. Kobzdej - Patience (1956)
Le vide-grenier du dimanche. Deux oeuvres du peintre polonais Aleksander Kobzdej (1920-1972). Il entreprend en 1939 des études d’architecture à Lviv, les poursuit à l’Institut polytechnique de Gdansk, avant de rejoindre finalement l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie. Ses débuts, encore proches du post-impressionnisme, laissent bientôt place, dans les années 1950, à une adhésion au  réalisme socialiste dont il se montrera un digne représentant, avec notamment son oeuvre la plus iconique, Podaj cegle (Passe-moi une brique, 1949).

A.K. - Fabricants de briques (1953)
Il s’en détache ensuite pour explorer des voies plus personnelles, vers l'abstraction et la peinture matiériste. Pour cette publication, je reste à sa facette figurative avec deux toiles qui me plaisent particulièrement : notamment Pasjans (1956), une scène apaisée et intime que sa délicatesse distingue de ses œuvres engagées ou abstraites.

samedi 1 mars 2014

Pitman's shorthand manual (1927)
Une image et des mots. L'illustration est tirée de l'édition de 1927 du manuel de sténographie Pitman. 
Ce système phonétique d'écriture pour la langue anglaise a été présenté pour la première fois par Isaac Pitman en 1837. Les symboles n'y représentent pas des lettres mais des sons.
Les mots sont un extrait du petit livre publié en 2010 par le psychanalyste François Gantheret, La nostalgie du présent.

Il ne faisait [...] que retrouver le plus commun et le plus terrifiant de la condition humaine, l'imposture inhérente au fait d'être dans un monde de signes et signe soi-même, dans un monde qui double le monde "réel" comme la carte inventée par le génie de Borgés, celle qui, à l'échelle 1/1, recouvre point pour point, dans sa facticité, le pays qu'elle représente. C'est dans la fortuite déchirure de la carte que peut apparaître le sol, que le pied nu peut sentir la fraîcheur de l'herbe ou la brûlure du sable et qu'il se sait lui-même nu et sensible et participant sensuellement de ce monde duquel le sépare le langage.